Deepwater est un film tout en pression. Il est bâti autour d'elle, d'ailleurs. Combien de fois Peter Berg glisse-t-il un plan sur des cadrans dont les aiguilles pointent la zone rouge ? Deepwater est un énorme cadran dont le spectateur fixe l'aiguille se déplacer, de manière inexorable, vers le catastrophique et le déluge de feu.
Cela commence de manière classique, presque badine, quand on nous décrit cette vie de famille, ce quotidien du héros et de ceux qu'il laisse derrière lui pendant de longues périodes. Zone verte, confortable et rassurante, bâtie sur les fondamentaux du film catastrophe. Même si quelques plans sous-marins parasitent cette tranquillité de ses bulles qui s'échappent et qui remontent à la surface, et de ses grondements sourds, comme venus du fond des âges, de la gorge des méchants dinosaures que la petite met en scène dans son exposé scolaire.
L'aiguille monte doucement, une fois le pied posé sur la plate forme pétrolière. L'Horizon de Deepwater se bouche peu à peu. La pression monte et passe d'abord par une confrontation musclée, de tous les instants, entre les intérêts financiers avides et ceux qu'exigent un travail bien fait et dangereux. Cette confrontation, c'est celle de deux gueules de cinéma que l'on a un plaisir immense à retrouver. Car Kurt Russell et John Malkovich bouffent littéralement l'écran, faisant passer instantanément le héros et toute l'équipe au second plan. Blanchi, hirsute et buriné pour l'un, la tête de salaud pour l'autre, l'exécutif de la firme BP et le chef de la sécurité opposent leurs impératifs et leur agenda dans les prémices du désastre. Rien que pour cela, Deepwater mérite le détour dans la pression qu'il installe, d'autant plus que Berg en profite pour se glisser dans les entrailles de sa bête de métal, suivant Mark Wahlberg dans les coursives qu'il arpente ou s'introduisant dans les tuyaux et les tubes comme s'il se livrait à une exploration médicale du tube digestif ou des artères de cette plate forme off shore où l'on se rend compte qui finalement, rien ne marche vraiment.
Puis cette boue à haute pression qui gicle, et enfin l'explosion, incroyable et catastrophique, de cette structure qui s'embrase. Peter Berg ne lâche pas la caméra qu'il avait déjà porté bien haut pendant toute sa première partie. Loin de là. Il secoue, tremble et remet sur le devant de la scène son complice Mark Wahlberg, très à son aise quand il est chargé de porter la vision du cinéaste, celle du courage et de l'abnégation, qu'ils soient ou non teintés de patriotisme, ainsi que son questionnement sur la représentation de l'Amérique. Pris au piège, en quête de survie, l'acteur étincelle sans pour autant revêtir les oripeaux de l'american hero qui auraient été ici totalement hors-sujet. Tandis que Peter Berg, d'un sérieux inattaquable dans sa scénographie, offre un spectacle de tous les instants traversé d'images terrassantes d'un enfer de feu qui fleurit dans la nuit, dans ce qui semble être le milieu de nulle part.
Peter Berg fait donc de son dernier effort un régal plastique, aussi haletant et immersif dans ce qu'il propose que son Du Sang et des Larmes, tout en l'irriguant, peut être pas d'un discours, mais au moins de singuliers coups de griffes ayant pour victime ce capitalisme col blanc, floqué ici du logo BP, dont l'avidité enflamme et étrangle une industrie à bout de souffle qui s'écroule sous son propre poids. Si certains déploreront peut être les sempiternels hommages aus disparus ou la mise au second plan de l'impact environnemental de cette catastrophe sans précédent, Deepwater se révèle cependant incroyablement généreux et spectaculaire, réalisé au cordeau par un Peter Berg qui, mine de rien, se construit une filmographie aussi singulière qu'intéressante et sincère, qui n'est pas sans me rappeler, dans sa démarche, un certain Ben Affleck.
Il y a pire comme référence.
Behind_the_Mask, qui fait feu de tout bois.