Il faudra m'expliquer comment Lorenzo di Bonaventura, le producteur des Transformers de Michael Bay, a pu investir 110 millions de dollars dans Deepwater, petit film-catastrophe, qui manque cruellement d'arguments commerciaux. Ni son casting de seconds couteaux (Marc Wahlberg, John Malkovitch et le vieux briscard Kurt Russell), ni son sujet (l'explosion en 2010 de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon) ne sont de nature à remplir les salles. Réalisé par le très inégal Peter Berg, le film n'intéresse pas non plus la critique. Dommage, car Deepwater, à défaut d'être un film catastrophe de premier plan, est sans doute le travail le plus didactique qui ait jamais été entrepris sur l'industrie du pétrole. Par rapport à There will be blood (où les pipelines de pétrole tracées par Daniel Plainview jetaient les bases de l'économie du Xxe siècle), Deepwater marque la fin d'une ère, la catastrophe qu'il raconte - c'est sa principale qualité - ne capitalise pas sur les angoisses contemporaines, elle ne prophétise rien, elle raconte plutôt une fin qui a déjà eu lieu.
Fait rare dans un film catastrophe, le discours technique occupe une bonne moitié de Deep water, soit presque une heure. Dans des bureaux verdâtres, des personnages discutent très sérieusement des possibles failles du système de forage de Deepwater Horizon. « Il y a la vue d'ensemble et les points de détail », explique le personnage de Malkovitch, qui représente les intérêts de la compagnie pétrolière. Son antagoniste (Kurt Russell) est un professionnel chargé de vérifier la viabilité des installations de la structure – examen dont il ressort rapidement que rien n'est viable. Vue d'ensemble d'un côté, points de détail de l'autre. Toute la conception du film pourrait tenir dans cette réplique. Peter Berg s'occupe d'abord de points de détail (un lieu industriel a rarement été aussi rigoureusement décrit dans un film de divertissement) avant de passer à la vue d'ensemble – c'est-à-dire à la catastrophe. Lorsque le personnage de Malkovitch propose « d'effectuer un test en pression négative sur la kill line », on le voit faire un dessin sur un tableau blanc – point de détail didactique, dont le film a besoin pour faire comprendre les causes de l'accident. Loin d'alourdir le film, ces scènes techniques le rendent au contraire très lisible – et il est dommage que le spectacle de la catastrophe perde ensuite cette qualité de lisibilité.
La seconde partie du film consiste en effet en un spectacle pyrotechnique assez paresseux, elle sent le compromis esthétique. Berg ne trouve pas de véritable solution entre ses propres références (La Tour infernale, Titanic) et les exigences de sa production, qui impose à son film une esthétique à la Transformers, c'est-à-dire un spectacle continu de ferraille se désarticulant dans tous les sens. Mais c'est finalement Berg qui a le dernier mot, lorsque les working class heroes égrènent un pater noster devant la plate-forme en feu – c'est l'une des dernières scènes du film. On comprend mieux alors de quoi le film a fait son histoire. Deepwater ne raconte pas seulement la fin d'une ère (c'est la vue d'ensemble), il montre aussi – et c'est très rare dans un film d'un tel budget – comment des travailleurs consciencieux assistent, bouche-bée, à la destruction d'un lieu de travail dans lequel ils ont investi leur vie. Dès lors, aucun triomphalisme dans le retour du héros (Wahlberg) à la maison, juste de la désolation et de la peur. La suite de Deepwater pourrait très bien s'appeler Take Shelter.
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