Présenté en compétition à la Semaine de la Critique à Cannes cette année, Dégradé est un film qui nous vient tout droit de Palestine. De là-bas, nous parviennent le plus souvent des images de guerre. Or, cette histoire de femmes (contée par deux hommes), pourtant située en plein Gaza, prend le parti de ne pas parler directement de guerre, mais de vie. Ainsi, si des figures s’affrontent, c’est sans armes. Le conflit armé a lieu hors les murs, on l’entend, mais on ne le vit que par le son. Tel un huis-clos, tout le film se passe à l’intérieur d’un salon de coiffure où treize femmes se retrouvent coincées. D’abord d’apparence frivoles, leurs conversations deviennent de plus en plus tendues et révélatrices de leur désir de vie, mais aussi des querelles sanguinaires qui se passent au dehors. Confinées, elles se révèlent de plus en plus et certaines envahissent même l’espace telles des chefs de meute. Le film commence sur un ton léger, c’est un moment de détente comme un autre, mais une arrivée impromptue vient tout bouleverser : un lion volé et exhibé par le petit ami d’une des coiffeuses du salon. Étrange ballet, drôle au départ, mais qui déclenche une salve de coups de feux.


L’intérêt principal de ce premier film est de montrer le conflit autrement et de s’interroger sur ce qu’est être une femme aujourd’hui en Palestine. Pour cela, les deux frères réalisateurs, qui ne manquent pas d’humour, ont tenté de réunir à travers leurs personnages un large panel de femmes « de tous âges et de tous horizons ». Résultat, se côtoient dans ce salon une divorcée, une fervente religieuse, une future mariée et bien d’autres personnages hauts en couleurs. Chacun a sa fonction propre dans le film et avec cela son discours. Si bien que tout est fait pour que le conflit qui se joue à l’extérieur, se déplace aussi à l’intérieur. Les femmes du salon se mettent alors à parler de politique et forment même un gouvernement imaginaire, s’écharpent aussi sur des différences de croyances, de convenances. On y croise même une lionne, cheveux devenus crinières qui vocifère sur chacune des clientes. Quelque chose se noue et les aspirations des jeunes filles sont retranscrites. D’autant que si dehors c’est la mort qui advient, à l’intérieur, c’est la vie qui se joue et une autre tension qui démarre : une des clientes est prête à accoucher. On perçoit alors dans ce film des éclats de voix, des rires et des pistes de réflexions. Cependant, si le film parvient à retranscrire un bouillonnement, une pulsion de vie, il est trop démonstratif. Son propos, sa nécessité vitale en plein conflit en fait un film fort, mais ses personnages restent trop enfermés dans des fonctions qui peinent à éviter les clichés attendus. Le film travaille comme un miroir, celui d’une société en souffrance. On y croise alors des femmes figées dans une posture que le film exige pour pouvoir s’exprimer pleinement. Sur un ton à la fois léger, mais décalé par l’urgence de la situation extérieure, le film verse parfois dans l’exagération, mais demeure un message humaniste très fort, réalisé par deux frères au talent certain. Il porte la voix de ceux qui souffrent chaque jour, enfermés dans un conflit qui les dépasse alors qu’ils ne font que rêver d’avenir (grossesse, mariage…) et de liberté (de culte, d’opinion, de création). Après 1h20, on se dit tout de même que Dégradé est moins décoiffant que ne le laissait rêver son titre. Un titre évocateur autant d’une coupe de cheveux que de l’évolution catastrophique d’une situation que le film dénonce à sa manière…


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le 10 juin 2015

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eloch

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