Je dois dire que j'ai eu peur, très peur. Au point de ne pas aller au cinéma voir le film, de peur d'être prisonnier d'une version totalement mensongère de l'histoire de la cuisine. Une publicité du film (ou une critique, je ne sais plus) nous vantait la reconstitution du premier restaurant du monde, avec ce cuisinier renvoyé d'une maison aristocratique et ouvrant son affaire à la campagne. Tous les signaux étaient au rouge. WARNING ! BULLSHIT ! Une insulte faite à 40 ans de recherches universitaires, et à un ouvrage de référence écrit sur le sujet : The Invention of the Restaurant par Rebecca Spang.
Il faut bien avouer que la communication en question était peut-être vendeuse, mais un peu à côté de la plaque. "Délicieux" est une pure fiction qui imagine une petite histoire à côté de la grande, et ne tente pas de faire revivre l'invention du premier restaurant. Celui-ci est né à Paris autour des années 1765, et il en est même fait mention dans le film.
Les équipes du film ont d'ailleurs bien bossé les classiques de l'histoire de la cuisine, quitte à un peu trop vouloir montrer qu'ils avaient bien retenu la leçon : les épices comme marqueurs de la cuisine médiévale, le goût de la nouvelle cuisine du XVIIe pour les aromates autochtones, le goût des aristocrates pour les aliments les plus proches du ciel (et donc de Dieu), et j'en passe tant les références sont nombreuses. On a même donné à un personnage qu'on ne voit pas à l'écran, le même nom que celui que portait le père de la cuisine française moderne : François La Varenne. Une petite satisfaction quand même de voir qu'une bibliographie sérieuse a été étudiée, ce qui nous change un peu des clichés maintes fois ressassés dès qu'il s'agit de faire un film en lien (de loin ou de près) à l'histoire de la cuisine.
Côté image, j'ai apprécié la qualité de la photographie, la beauté des paysages du Cantal et les scènes en cuisine que j'ai trouvé plutôt crédibles. Il aurait peut-être fallu montrer un peu plus à l'écran (ou le montrer tout court) le fameux potager, l'ancêtre du fourneau, qui a beaucoup fait dans la modernité de notre cuisine. La première scène du déjeuner aristocratique, même si elle vire à l'hystérie, n'est pas sans intérêt non plus. Il y a une tentative de reconstituer un déjeuner privé du XVIIIe siècle (avec une dizaine de convives tout de même) qui n'est pas si loin d'aboutir à une interprétation assez fidèle, dans la forme du moins.
Et je vais m'arrêter sur ces qualités. Car le film est loin d'être parfait. Les scènes de pseudo-reconstitution d'un restaurant rural imaginaire, qui s'inspirent d'ailleurs beaucoup de notre vision d'un restaurant, qu'il soit moderne ou ancien, ont provoquées en moi une certaine forme de malaise. Et je ne me prononce pas sur l'interprétation historique du film en général, certains s'en sont déjà chargés dans les critiques lues ici et là sur Sens Critique. Mais disons que sur le volet histoire de l'alimentation, la note est plutôt encourageante.