Emotions formatés

Demain Tout Commence est le film français “hype” de cette fin d’année. Il est vrai que tout est prévu pour plaire au plus grand monde, que ce soit par la présence d’Omar Sy, l’acteur préféré des français, ou via les thèmes universels des conflits parentaux et l’amour des enfants. Il appartient à cette nouvelle catégorie du paysage cinématographique français née à la suite du succès d’Intouchables. Mélangeant la comédie à des thèmes dramatiques, voir carrément mélodramatiques, ce type de productions, dans lesquelles on retrouve également La Famille Bélier, sont de véritables cauchemars pour les critiques. Elles sont tellement consensuelles qu'elles vont faire la quasi-unanimité auprès des spectateurs. Fonctionnant sur les bases des émotions universelles que sont le rire et la tristesse, la formule est calculée pour plaire au plus grand nombre. Il est donc extrêmement délicat de les critiquer vu que tout est fait pour qu’une majorité de l’audience apprécie le spectacle proposé.
Mais en tentant d’avoir un peu de recul, ces œuvres méritent-elles vraiment un tel consensus ? A titre personnel, j’ai ressenti une certaine gêne devant Demain Tout Commence. J’ai eu un peu l’impression que l’on me prenait pour un idiot que l’on insistait avec une telle force sur ce que je devais ressentir que le film ne laissait aucune place au libre arbitre et au développement des émotions personnelles. Sur le fond, c’est bien conçu et plaisant, il y a un vrai développement à l’américaine avec du rythme, de l’humour et de l’émotion. Les acteurs sont assez bons (même si Omar Sy fait du Omar Sy) et même la petite fille s’en tire assez bien mais les ficelles sont tellement grosses et peu subtiles… Malheureusement, le film ne sait pas doser avec parcimonie les émotions et en rajoute en permanence dans le pathos. Quand l’on doit rire, on en fait des tonnes, bien aidé par le rire communicatif et bruyant d’Omar Sy. Quand on doit pleurer, c’est encore pire… La situation est dramatique mais on en rajoute une couche, et encore une couche, et on termine par un discours larmoyant… Pour moi, c’en est trop… J’ai envie de ressentir de vrais sentiments et je n’ai pas besoin d’autant d’artifices pour m’émouvoir.
Ce concept prend vraiment toute sa résonance dans les dernières minutes du film où l’on a droit à un monologue en voix off interminable qui va jusqu’à nous expliquer l’origine du titre du film. Je ne suis pas idiot et je n’ai pas forcément besoin d’un mode d’emploi pour apprécier un film ! Je trouve un peu dommage que quand le cinéma français arrive à maîtriser l’efficacité américaine ce n’est pas forcément pour le mieux… Maintenant restons objectifs, comme je l’ai dit c’est ultra efficace, je suis quasi sûr et certains que 90% des spectateurs vont adorer le film. Je pinaille beaucoup mais force est de reconnaître, que malgré un certain agacement, j’ai ri, j’ai eu ma petite larme à l’œil et surtout je n’ai pas regardé ma montre. C’est cousu de fils blancs et les personnages sont clichés mais le tout fonctionne un peu comme une bonne grosse pâtisserie industrielle trop sucrée mais quand même appétissante.
Je viens donc d’écrire trois paragraphes sur le film et je suis toujours incapable de dire si je l’ai trouvé bon ou mauvais… Je pense que je pourrais conclure en disant que la promesse faite par l’œuvre est totalement respectée et qu’en soi il est réussi, mais qu’il ne représente probablement pas l’image que je me fais du cinéma. Je ne peux que vous conseiller d’aller le voir car je suis persuadé que la majorité d’entre vous vont l’apprécier. D’ailleurs, comme je l’ai dit, j’ai moi aussi passé un bon moment. Mais si l’on voit un film comme une œuvre d’art, on est obligé de laisser une place à l’artiste justement. Celle-ci s’exprime entre autre par l’interprétation laissée aux spectateurs qui découvriront la création. Le soucis c’est qu’ici on ne retrouve aucune liberté. Au final, tout le monde sortira de la salle avec un ressenti identique et une interprétation unique… Le cinéma, c’est la diversité, ici on est malheureusement dans le formaté…

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