Film mélancolique par excellence, Dernier Amour a été souvent considéré comme le chant du cygne de la comédie italienne, un genre né dans les années 50 et porté par des acteurs tels que Totò, Vittorio Gassman, Marcello Mastroianni. Un registre cinématographique où des cinéastes comme Luigi Comencini, Vittorio De Sica et justement Dino Risi ont excellé pendant presque 30 ans. Mais au crépuscule des années 70, le cinéma italien est exsangue économiquement et la télévision a commencé à prendre sa place dans le coeur de beaucoup d’Italiens. Alors que la péninsule a dominé le cinéma européen pendant presque 3 décennies, la création cinématographique va disparaître en partie à cause d'un Berlusconi qui prend petit à petit le contrôle de l’imaginaire italien, imposant ainsi une esthétique vulgaire et dénuée de tout discours.


C’est à cette époque que Risi va signer la même année (1977) deux films crépusculaires, le très beau Les Âmes perdues (déjà chroniqué par mes soins ici) et Dernier Amour. On peut noter que ces deux longs-métrages débutent dans d’anciennes demeures qui semblent figées dans le passé. Dans le cas de Dernier Amour, nous nous retrouvons une maison de retraite pour acteurs dans le besoin où arrive Picchio (Ugo Tognazzi), ancien comique vedette qui se gargarise de n’avoir pas encore 60 ans et d’être seulement de passage en attendant l’argent que lui doit l’État italien. Dans l'hospice, entouré de pensionnaires souvent plus vieux que lui, il joue au cabotin qui défie la vieillesse. Il essaye surtout d’entretenir le souffle de la jeunesse surtout quand il rencontre la magnifique Renata. Éclairée par le talentueux Tonino Delli Colli (chef opérateur de Pier Paolo Pasolini ou Sergio Leone), Ornella Muti resplendit dans chacun des photogrammes du film et fait chavirer tout autant le cœur des spectateurs que celui des personnages de cette fiction. Elle représente le souffle de vie grâce à sa sensualité naturelle et son visage d’ange dans cette maison de retraite qui rappelle le classique du polar : Boulevard du crépuscule. Une analogie d’autant plus justifiée que l’on retrouve comme dans le film de Wilder, de véritables stars du cinéma passé comme pensionnaires telles que Caterina Boratto, l’une des vedettes du cinéma italien des années 30 et 40. Risi filme ici avec beaucoup d’humanité la vieillesse en nous montrant la détresse d’anciennes stars qui ont seulement comme spectateurs leur miroir où se révèlent les affres du temps. Pour autant, le film n’est jamais féroce envers ses personnages. Le cinéaste italien parvient même à nous faire ressentir beaucoup de tendresse pour ces anciennes gloires du music-hall qui multiplient calembours et autres blagues grivoises comme pour nous signaler qu’ils ne sont pas tout à fait morts.


C’est au coeur de l’hospice que la jeune femme et l’ancien comique vont par se rapprocher puis s’unir alors que la somme d’argent attendue par Picchio finit par arriver. L’homme décide alors de quitter les lieux pour Rome non sans emmener dans ses bagages la jolie Renata. Mais très vite le monde extérieur va rappeler à notre héros que son histoire d’amour ne peut survivre à l’écart d’âge. Si le temps semblait suspendu dans la riche demeure bourgeoise qui servait d’hospice, à l’extérieur notre héros s’avère dépassé. Ses habits, ses relations dans le milieu artistique ou bien son humour ne sont plus d’actualité. On notera particulièrement de la séquence où il visite son fils et entame une imitation du vieux comique Totò qui ne fait rire personne dans son jeune auditoire. Et ce n’est pas un postiche ou une moustache maladroitement teinte qui seront des subterfuges suffisant pour tromper le cours du temps.


Dino Risi signe avant tout un joli film sur la nécessaire acceptation de la vieillesse. Si Picchio faisait illusion parmi tous les grabataires de l'hospice, la réalité finit par s’imposer à lui comme dans cette séquence où il prend place sur un balcon sur lequel la jolie Ornella Muti regarde l’horizon désespérée alors que son vieil amant se cherche des excuses pour ses piètres performances sexuelles en hors champ. Et petit à petit celui qui se revêt en Pygmalion, ne fera que suivre les pas de la jeune femme, assistant à son ascension dans la télé poubelle de l’aube des années 80. Une reconnaissance que l’on devine temporaire, mais qui finira par sonner le glas de leur relation minée par la différence d’âge. Surtout, Picchio le vieux clown n’a plus sa place dans les années 80 pleines de paillettes, "le temps des cabotins" est révolu lui déclare ainsi l'impresario qu'il est venu visiter.


Concernant la conclusion du film et sans vouloir la révéler, elle s’avère bouleversante lorsque l’on comprend que cette histoire d’amour aura été à la fois la dernière (Dernier amour, le titre français du long-métrage) et la première (Primo amore, le titre italien du film) d’un homme qui n’aura pas pris le temps de vivre, car obsédé par la jeunesse éternelle.


À ce titre, le plan final témoigne de toute l’intelligence d’un réalisateur qui savait poser sur notre société un regard cru tout en étant d’une grande humanité envers ses personnages.


Mad Will


Retrouvez la critique originale sur le site Chacun Cherche Son Film.fr : https://chacuncherchesonfilm.fr/actualites/802-revisons-nos-classiques-dernier-amour

MAD-WILL
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le 11 févr. 2020

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