Alors que le genre horrifique a été pendant un long moment la chasse gardée des producteurs indépendants, les années 70 ont vu les majors se lancer à leur tour dans l’épouvante. Les studios appréciaient en effet le retour sur investissement d'un genre qui ne coûtait pas forcément cher à produire. C'est à cette époque qu'Universal va prendre une option sur un scénario autour d’un paysan anthropophage signé par deux apprentis scénaristes nommés Robert Steven et Charles Jaffe. Le script trouve également un réalisateur en la personne de Tobe Hooper. Le cinéaste texan semble ravi de pouvoir mettre à nouveau en scène une famille de cannibales après son Massacre à la tronçonneuse. Mais le studio va prendre peur. Le long-métrage envisagé par ses auteurs semble trop extrême pour les cadres de la société qui ont été choqués par une séquence du scénario où l’on retrouve un personnage avec un vibromasseur dans son lit à côté d’un porc. United Artist qui connaît de grandes difficultés financières (Avec La porte du paradis) récupère le projet.
Tobe Hooper alors sous contrat avec Universal quitte le navire. Au même moment, la firme anglaise Amicus qui a produit des films d’aventures tels que Le Continent oublié ferme ses portes. Le réalisateur anglais vedette de la compagnie, Kevin Connor se retrouvant sans travail part s'exiler aux USA. Enthousiaste à son arrivée, il se rend compte qu'il est un quasi-inconnu pour les producteurs hollywoodiens malgré le succès de certains de ses longs-métrages d'aventures à l'international. Les scénaristes Robert Steven et Charles Jaffe, fans de cinéma fantastique connaissent tout de même un de ses films : Frissons d'outre-tombe. Cette oeuvre horrifique et pleine d’humour, très différente des autres films qu’il réalisa ensuite pour la Amicus lui permet d’obtenir un entretien avec United Artist. La major alors aux portes du dépôt de bilan, approuve sa candidature. Connor l'a en effet rassurée en déclarant qu’il souhaitait rendre le film plus léger. Il demande ainsi aux scénaristes la suppression des passages les plus noirs du script et oriente Nuits de Cauchemar vers la comédie.
Nuits de Cauchemar fonctionnera plutôt bien au box-office. Avec le temps, il est même devenu un film culte aux USA. Des studios de jeux vidéo prestigieux comme Rockstar ont ainsi rendu hommage au film par le biais d’un boss portant un masque de cochon dans leur hit vidéoludique Manhunt. Dans l’hexagone, la présence du long-métrage dans le fameux numéro 100 de Mad Movies a également beaucoup fait pour la réputation de cette oeuvre. Il me semblait donc indispensable d’évoquer Nuits de Cauchemar qui est enfin disponible sur supports numériques en France grâce à l’éditeur Movinside.
Que raconte le film ?
Bienvenue dans ce petit motel accueillant, un peu à l'écart des grandes artères routières, tenu par un couple des plus folkloriques, Vincent et Ida Smith. Ici on offre tout pour attirer le client en manque de tranquillité et de dépaysement. En prime, la maison fabrique un superbe saucisson, dont la qualité est reconnue dans toute la région environnante. Mais les paisibles tenanciers ont une drôle de recette secrète pour obtenir avec amour et dévouement le plus succulent des produits régionaux !
Nuits de Cauchemar est une oeuvre grotesque et bizarre, où le réalisateur mélange un humour à la Benny Hill avec des éléments horrifiques. Avec son abondance de couleurs à l’écran, le film rappelle les comics d’horreur des années 60 dont s’inspirera Romero pour Creepshow. Dans le rôle principal, nous retrouvons un second couteau du cinéma américain, Rory Calhoun, qui joua dans pas loin de 70 westerns. Acteur au jeu monolithique, il offre ici tout simplement la meilleure prestation de sa carrière. Il incarne avec beaucoup de conviction Vincent Smith, un fermier branché bio qui est convaincu de pouvoir régler la question de la surpopulation de notre planète en utilisant de la viande humaine dans ses préparations. Il cristallise ici l’image d’une Amérique redneck en apparence bienveillante et généreuse mais qui s’avère réactionnaire, car elle souhaite littéralement envoyer à l’abattoir les hippies, les lesbiennes et tout ce qui sort de la norme. Notre fermier au sourire carnassier peut compter sur la présence de sa soeur Ilda pour l‘aider dans ses méfaits. Elle est interprétée dans le film par Nancy Parsons connue pour la série des Porkys. L’actrice nous crée un personnage inquiétant à la Misery totalement instable, une sorte de petite fille sociopathe dans le corps d’un adulte.
La photographie très colorée du film signée Thomas Del Ruth est remarquable. Connu pour son travail sur Breakfast Club ou Stand by Me, le chef opérateur nous donne à voir des séquences nocturnes de toute beauté qui n’ont rien à envier aux travaux de Darius Khondji chez Caro et Jeunet lorsque le film nous dévoile les étranges cultures de Vincent. Par contre, je suis beaucoup moins convaincu par la mise en scène plutôt plate de Kevin Connor. Si vous me lisez régulièrement, vous savez oh combien j’apprécie son travail dans le cinéma d’aventures. Mais sa réalisation s’avère ici trop sage et manque totalement de point de vue. Si son humour typiquement anglais fonctionne à l’écran lorsque les clients de notre fermier anthropophage déclarent en gros plan avoir goûté à la meilleure viande du comté, son découpage est proche de l’encéphalogramme plat lorsqu’il s’agit de filmer les scènes de traque ou d’action en général. Connor cite souvent Hitchcock comme référence pour ce film. Une filiation évidente du fait que les psychopathes dans les deux films tiennent un hôtel. Malheureusement, Kevin Connor n’a pas la maestria du maître du suspense qui savait la fois nous faire frémir et rire.
Même si le film manque parfois un peu d’intensité et se traîne en longueur, il mérite tout de même son statut de long-métrage culte grâce à certaines séquences hallucinantes. On pense évidemment à celle où le fermier enterre des humains qu’il gave comme des oies après leur avoir coupé les cordes vocales. Mais surtout Nuits de Cauchemar restera dans nos mémoires pour son final dantesque où notre agriculteur s’arme d’une tronçonneuse et revêt une tête de cochon. Cette séquence suffit pour faire de ce film une oeuvre mémorable, surtout quand notre méchant meurt et déclare qu’il n’a qu’un seul regret dans sa vie : c’est d’avoir eu recours à des conservateurs alors qu’il se gargarisait de faire du bio.
Mad Will
Lire la critique sur le site de Chacun Cherche son Film : https://chacuncherchesonfilm.fr/actualites/815-seance-horreur-nuits-de-cauchemar