Avant-dernière oeuvre d'Ozu, Dernier Caprice est d'apparence plus légère que celles que j'ai déjà eu l'occasion de visionner, ainsi que de ses plus réputées, mais uniquement d'apparence tant il se cache quelques teintes plus sombres et tristes.
Avec Dernier Caprice, il est d'abord question de mariage et d'arrangement, de doute par rapport à ceux-ci et donc de rencontre, symbole d'un père qui aimerait voir ses filles mariée et vivre une vie stable, donc dans les mœurs de l'époque mise en scène, avant de dire adieu à ce monde. Plus on avance dans le récit, plus, intelligemment, Ozu l'approfondit et dévoile d'autres degrés de lecture, les problèmes financiers de l'entreprise mais surtout le passé du père qui va resurgir; celui qui fit pleurer son ex-femme comme le dit si tristement sa fille.
C'est là que se trouve la force du cinéma d'Ozu en général, il est d'apparence simple, qu'importe les thématiques abordées, mais dévoile d'autres degrés de lecture qui sont ici particulièrement bien écrits. Il n'alourdit pas le récit, c'est authentique, simple sans être simpliste et se rapproche d'un cinéma de vie, où les émotions les plus purs vont apparaître. C'est le cas ici et, comme dans Voyage à Tokyo par exemple, le cinéaste japonais dresse un portrait tendre de ses personnages (tous parfaitement interprétés et dirigés par ailleurs), il ne se pose pas en juge et n'est pas non plus dans la complaisance, on s'intéresse à eux et aux enjeux auxquels ils doivent faire face.
L'oeuvre est, tout le long, passionnante, à l'image des personnages, que ce soit par leur évolution, les relations qu'ils entretiendront et la complicité entre eux. Il y a une vraie justesse et intelligence dans leur traitement, et de simples moments de vies prennent tout leur sens sous sa caméra. Les choix des filles, préférant suivre leur instinct plus risqué dans cette époque, les retrouvailles du père et la mélancolie qui s'en dégage, tout cela est simplement beau et vecteur d'émotion vraie. Il trouve l'équilibre parfait entre les tons où quelques séquences plus légères voire drôles contrebalancent d'autres plus graves.
La richesse du récit se dégage d'elle-même, il n'y a pas besoin de forcer, et on retrouve tout un panel d'émotion par des procédés simples, juste un geste ou regard. Cette simplicité se trouve aussi dans la technique du cinéaste, que ce soit dans l'utilisation de la couleur ou ses cadrages, face aux personnages. Il y a une science du détail, chaque décors recèle d'une certaine richesse, et les arrières-plans sont bien pensés, sobre et bien souvent superbe, principalement les intérieurs, ainsi que les extérieurs lors de la dernière partie.
La richesse du récit se trouve aussi et enfin dans ce qu'il se cache derrière cette histoire de famille. Il y a certes une idée de la transmission mais aussi des mœurs éloignées de ceux occidentaux où la mort, lorsqu'on est vieux, représente juste une étape (la sobriété dans la dernière partie est surprenante, dans un premier temps, et révélateur d'une autre philosophie ainsi que d'une certaine beauté). Enfin c'est aussi des cités qui s'agrandissent et une morte lente des petits marchés que l'on trouve, ainsi qu'une influence de plus en plus forte du monde occidentale, à l'image des petits copains américains ou de quelques panneaux publicitaires.
Yasujirō Ozu ne fera plus qu'un film après Dernier Caprice et on retrouve dans celui-ci ce qui fait la magie de son cinéma, une incroyable justesse qui se dégage de l'oeuvre, un traitement intelligent et sensible des personnages et enjeux ainsi qu'une manière pure et touchante de filmer les choses de la vie.
Le feu mal éteint s'embrase