Coincé dans un train contaminé et rapidement rempli de zombies, un père n'a qu'une seule idée en tête : conduire sa fille chez sa mère, à Busan. On retrouve dans cette trame minimale les principes mêmes du film de zombie : une unité de lieu (le train), un groupe de survivants hétérogène et divisé (chef d'entreprise vs SDF), métaphore supposée des tensions d'une société dont le huis-clos va accentuer les antagonismes. C'est le programme écrit par Romero il y a environ un demi-siècle avec Night of the living Dead (1968) et prolongé jusqu'à Land of the Dead (2005), qui abandonnait l'idée du refuge humain pour raconter le destin d'un Moïse-zombie (Big Daddy) cherchant une terre promise pour son peuple de réprouvés. Preuve que Romero a su s'adapter aux grands changements politiques de son pays (il y a des échos du discours de Bush sur l'Axe du Mal dans Land of the dead) et à l'évolution plastique du cinéma d'horreur, la forme du found footage étant devenue prééminente dans Diary of the Dead (2008).


Romero a pourtant été le seul à maintenir un cap politique dans le film de zombies, celui-ci s'est largement dépolitisé, s'ouvrant à des parodies (Shaun of the Dead, Zombieland) où le mort-vivant est revenu à sa forme première, en deçà de toute allégorie. Soit une caricature grotesque d'être humain englobée dans une masse grimaçante et désarticulée, génialement imitée par Simon Pegg dans la scène de marche zombiesque de Shaun of the Dead (2004). Le vide politique du film de zombie contemporain – au regard duquel Land of the Dead est apparu en 2005 comme déphasé, presque ringard - a trouvé son apogée dans Zombieland (Ruben Fleischer, 2009) qui revient, en toute logique, au parc d'attractions et au jeu de massacre. Les plans – nombreux dans Busan – de faciès de zombies écrasés sur les vitres du train ou collés aux portes en Plexiglas séparant les wagons sont typiques de ce grotesque horrifique que l'on trouvait déjà dans les premiers Romero (notamment dans Zombie), et qui fonctionnait comme le ressort principal de la satire sociale. Corps sans vie organique, réduits à de simples masques de foire, les zombies de Busan ne sont plus que les ombres de leurs homologues américains : on ne le voit pas décharner les corps pour les consommer, mais simplement mordre et (surtout) grimacer.


Busan soulève de ce point de vue un paradoxe intéressant : alors que la figure du zombie a été surexploitée durant ces quinze dernières années (aux parodies déjà citées, il faudrait ajouter le remake de Dawn of the Dead réalisé par Zack Snyder, la série The Walking Dead, la comédie horrifique Warm Bodies...), elle n'a quasiment pas évolué plastiquement. World War Z, le blockbuster de Marc Forster produit par Brad Pitt en 2013, a fixé sa forme contemporaine : celle d'une masse numérique se déplaçant par vagues, à un rythme frénétique qui ramène les créations artisanales de Romero à la préhistoire du genre. C'est cette forme que l'on retrouve dans Busan et c'est peu dire que le film de Sang-Ho Yeon ait fait de World War Z un modèle, il lui doit en réalité à-peu-près tout. Son imaginaire apocalyptique (une pandémie déclenchée par une industrie biochimique) et sa façon de mêler film catastrophe et pathos familial (autour du personnage de la petite fille qui doit rentrer chez sa mère) sont sans doute la recette de son succès phénoménal en Corée, où il a fait exploser en quelques semaines le box office national.


Recette un peu facile. Largement conspué à sa sortie, World War Z était bien meilleur : il réussissait à être à la fois un bon film de genre (le huis-clos dans les laboratoires de l'OMS était écrit dans cet esprit) et à trouver une efficacité spectaculaire de blockbuster culminant dans la séquence de l'assaut à Jérusalem. Dernier train pour Busan en est non seulement l'ersatz, mais il marque aussi une sorte de terminus du film de zombies industriel. Au lieu d'élaborer des grandes fables politiques sur la fin programmée de nos sociétés consuméristes – récit qui avait encore du sens dans le cinéma américain contestataire des années 70, mais n'est plus ici qu'un tour de rhétorique usé – il est peut-être temps de ramener le mort-vivant du côté de l'intime, de l'extraire de sa masse gesticulante, de revenir à Vaudou de Tourneur (1943) ou au magnifique Dead of Night de Bob Clark (1974). On en est pour l'instant très loin. En attendant, le TGV coréen à destination de Busan conduit ses passagers-zombies à l'endroit exact où se situe actuellement le genre, c'est-à-dire nulle part.

chester_d
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le 22 août 2016

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