Du cinéma minimaliste et radical qui prend les formes d'un western presque immobile, à l'ennemi invisible et peut-être fantasmé, où la peur et le rejet de l'étranger (ici des nomades de l'autre côté de la colline) servent de motivations aux exactions et aux rancœurs. Mais, si le fruit peut pourrir par des contacts extérieurs, il renferme en lui un ver autrement plus redoutable qui contamine et altère les relations entre un fermier et le couple à son service, entre le même et son fils et ses deux petits-fils. La visite en apparence anodine rendue par la jeune génération à ses ainés travailleurs et revanchards se charge peu à peu de tension et met à jour les grains de sable qui enrayent la mécanique. De l'autorité virile et humiliante du patriarche à son fils, hédoniste et poète, jusqu'aux petits-enfants, bêtes et pleutres, cette famille semble se désagréger. De quoi est-elle au final le symbole, au cœur d'un paysage aride de falaises et de rares peupliers ? Peut-on y voir la métaphore d'un peuple replié sur lui-même, n'acceptant pas l'autre qu'il accuse de tous les maux ?
Le drame parait désormais pouvoir survenir de toutes parts et, derrière la fausse bonhomie d'un repas pris en commun autour d'un feu, les déplacements continus des personnages renforcent le malaise et l'ennui. Pour son premier long-métrage, le turc Ermin Alper signe une mise en scène étonnante et rigoureuse, qui multiplie les ruptures de tons. Moins lyrique et formaliste que son collègue Nuri Bilge Ceylan, il sait néanmoins être inventif avec une économie de moyens évidente, qui l'amène à travailler sur le hors-champs. Western oriental et atmosphérique où quelques personnages incarnent un peuple tout entier, mû par la cohésion communautaire et hanté par la proximité de l'étranger et traumatisé par les souvenirs de guerre, Derrière la Colline est un bel objet de cinéma à découvrir d'urgence.