Ce qui est bien : Jean-Paul Civeyrac installe une atmosphère, filme magnifiquement la relation de ces deux filles, avec de nombreux plans où elles occupent diversement le cadre. Elise Lhomeau, actrice inconnue, est très expressive, elle donne une intensité réelle au personnage. Oui, comme je l'ai lu ici et là, on pense à Bresson, avec le côté désincarné des personnages auxquels on ne peut s'attacher.
L'enjeu n'est pas là, car ce qui intéresse Civeyrac, il me semble, c'est une seule et unique chose : le mal-être de l'adolescence. On sait que le suicide des adolescents est un véritable fléau. Et il ne prévient pas toujours autant que dans ce film... C'est donc une tache louable que de tenter d'en exprimer la quintessence.
Civeyrac y parvient bien : on suit la montée en puissance de cette relation romantique (mais non sexuelle) entre deux jeunes filles cimentées par leur mal de vivre.
Après le suicide de Pris, violent car si bref et sans aucun bruit, Noémie se retrouve seule. Le manque ressenti par la survivante est également finement exprimé, et le sourire que lui soutire son jeune ami, dans le réfectoire, est assez touchant.
La scène suivante est plus contestable : Noémie qui se retrouve dans un orchestre, bon... ça sent un peu le conte de fées. D’autant qu’elle est censée être issue d’un milieu modeste (la mère qui bosse en grande surface), et j’aimerais bien connaître le pourcentage de jeunes filles de milieux populaires qui arrivent à être solistes dans un orchestre symphonique ! Déjà les scènes dans la grande maison bourgeoise des grands-parents ne cadraient pas avec ce milieu modeste. Petit problème de scénario il me semble.
Bien vu en revanche le refus obstiné qu'elle a de nouer des liens avec les autres musiciens, montrant que sa solitude perdure. Et la scène où elle se penche au balcon distille un suspens efficace. Pour conclure, Civeyrac se contente de filmer longuement un visage, comme auraient fait Bresson ou Bruno Dumont.
Bien des bonnes choses donc, une certaine profondeur et une "patte" visuelle intéressante.
Ce qui est moins bien, c'est le côté caricatural du monde qui entoure les deux amies : la mère est débordée, l'amoureux infidèle, les copains de classe agressifs, la proviseure maladroite, le flic rugueux et balourd, l'oncle est un obsédé sexuel, le grand-père est tourné en dérision avec sa chanson... Non, décidément, rien dans ce bas monde n'est à sauver. On pourrait certes formuler l'hypothèse qu'il ne s'agit pas du monde tel qu'il est mais de la vision qu'en ont les deux filles en noir... Peut-être.
Plus gênant, les dialogues tombent parfois dans les clichés, à l'image de cette réplique (en substance) : "tu veux réussir ta vie et finir devant ta télé en bouffant des chips ?" On peut vouloir exprimer la réalité de la révolte adolescente sans tomber dans ces caricatures.
Reste que le film a un certain charme. Je vais sans doute creuser l'oeuvre de ce réalisateur dont je voyais ici le premier film.