Liberté chérie
En adaptant librement le roman « La désobéissance », le réalisateur chilien Sebastián Lelio, nous offre dans son troisième film, le traitement des thèmes qui lui sont chers. Fortes,...
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le 18 juin 2018
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Désobéissance, réalisé par Sébastien Lélio, est une adaptation du roman La Désobéissance de Naomi Alderman sorti peu de temps avant. L'histoire suit Ronit, une anglaise expatriée à New york qui est rappelée au bercail après la mort soudaine de son père, le Rav de la communauté juive londonienne. C'est donc autour des thématiques du retour aux origines, de l'étranger et surtout du processus de deuil que le film fonctionnera. Mais cela, seulement pour un temps.
Le début de Désobéissance nous plonge au cœur d'une communauté esseulée par la perte de son leader, de sa figure paternelle, et ceux à travers le retour au source de sa fille unique, véritable étrangère au sein d'un consortium de règles, de codes très strictes auxquels elle semble déroger à chaque pas qu'elle fait.
Il ne doit pas y avoir de pire sentiment que de se sentir étrangère au sein de sa propre famille et surtout illégitime dans son deuil. Le réalisateur a superbement réussi à étouffer chaque plan avec une lourdeur anxiogène qui n'échappe à personne. Le début du film est très lancinant, la quasi absence de musique donne une épaisseur supplémentaire au réalisme pesant de l'atmosphère. Le spectateur a l'impression de faire chaque pas dans les souliers de Ronit et de les revivre plusieurs fois, de revivre sa gène, le poids des regards, des jugements tus et pourtant si présents. Bien évidemment, la colorimétrie est quasi monochromatique, avec des nuances de gris, de noirs ternes. L'image même du film semble plongée dans le deuil. Toute cette esthétique renforce encore plus la violence manichéenne de la pénétration de l'élément étranger au sein du groupe ( a fortiori en sachant que cet élément faisait jadis parti du groupe). La communauté juive orthodoxe est, par définition, très soudée, très renfermée sur elle-même, tout le monde connait tout le monde et surtout tout le monde se réunissait sous la sage parole du Rabbin et de ses préceptes.
De ce fait, quand Ronit revient chez son défunt père pour le commémorer, ce n'est pas seulement quelques individus de sa familles ou ses anciens amis auxquels elle doit rendre des comptes, mais tout un héritage, toute une histoire qu'elle a renié en incarnant littéralement ce qu'on appelle la Désobéissance.
Car Ronit, il faut le rappeler, n'a pas seulement quitter sa communauté à 18 ans pour aller vivre au rythme de la vie bohème à Manhattan en tant qu'artiste photographe, elle a aussi désobéis à son père en rejetant la doctrine orthodoxe et surtout en s'amourachant d'une autre fille. La scène du repas de Shabbat est particulièrement parlante à cet égard, même si elle revêt les allures d'un canevas de la confrontation familiale. Ronit semble s'épanouir dans la critique de tout ce qui définit la communauté en passant par le rejet du mariage (trop patriarcal) et des enfants, ou en abordant des considérations pécuniaire un vendredi soir. A ce stade, nous pourrions voir Ronit comme un personnage profondément téléphoné qui coche toutes les cases du cliché de la fille rebelle mais je la considérais plutôt comme une sorte de personne-symbole, la quintessence même de la renégat, celle qui déroge à toutes les règles et se faisant permet de les mettre en exergue via sa différence. Elle est essentielle à la compréhension du message que le film essai de transmettre. Car si elle a changé, ses amis d'enfance, eux, sont restés et ont grandis selon les préceptes judaïques.Il y a donc, dans le film, cette idée forte de construction identitaire à partir du groupe qui efface toute individualité. Et quand l'individualité surpasse le groupe, alors elle doit être éloignée pour ne pas gangrener. Parmi ses amis cités, nous avons son cousin Dovid, élève du Rav Krushka et futur rabbin qui a épousé Esti, l'ancienne petite amie de Ronit qui a décidé de renier ses sentiments pour les femmes afin de vivre une vie rangée, une vie pieuse.
La forme du triangle amoureux fait passer l'histoire à travers un entonnoir narratif qui permet de resserrer l'intrigue: Ronit bouscule la vie de la communauté sur le plan social mais aussi bouscule le personnage d'Esti et de Dovid sur le plan émotionnel, ce qui tend à complexifier la caractérisation du personnage car elle les force à confronter leur individualité au sein du groupe, ce qui se cache sous la kippa et sous la perruque (mais qui n'est pas forcément incompatible, je tiens à le préciser).
Tant l'évolution du personnage d'Esti laissait, pour moi, à désirer, dans sa crédibilité, tant celle de Dovid apportait quelque chose de profond, elle passait par une nouvelle compréhension de sa foi, sans pour autant l'antagoniser. Car se libérer ne veut pas obligatoirement renier son passé et son histoire. En effet, quand Dovid revient, à la fin du film, sur les derniers mots du Rav avant sa mort, sur la notion de choix, qualité, intrinsèquement humaine, présente dans la Torah et qu'il "libère" Esti de son mariage, il le fait en étant, je pense, le plus religieux possible, sans abandonner sa foi.
Maintenant, que dire de la relation en Ronit et Esti? Car c'est bien évidemment autour de cette dynamique saphique que l'intrigue finit par tourner le plus autour.
Et bien commençons par le commencement. La raison pour laquelle Ronit a quitté le bercail à 18 ans n'est révélée qu'au premier quart du deuxième acte, alors que nous comprenons doucement pourquoi cette dernière semble mal prendre les fiançailles de Dovid avec Esti. C'est en effet, en partie à cause de la découverte par son père de leur relation amoureuse que Ronit est partie. Nous pouvons alors penser que nous avions à faire à une relation passionnée, tragique, quelque chose de fort et bien qu'Esti ait semblé ne jamais se remettre de leur rupture, au point de rappeler Ronit à la mort du Rav, il n'en reste pas moins que la monstration de leurs sentiments réciproques laisse à désirer. Quand elles sont toutes les deux dans l'intimité, on a comme l'impression qu'elles réalisent seulement qu'elles s'aiment et que oui il faut qu'elles s'embrassent. Personnellement, je n'ai pas cru en la force de leur amour. Il semblait être placé la pour faciliter l'acte de désobéissance, l'éternel clivage entre l'amour interdit et la bienséance. Alors oui c'est beau sur le papier mais une entité tragique comme celle-ci se devrait d'être traitée avec un peu plus d'intensité. Ici, beaucoup d'éléments devraient entrer en jeu pour éconduire leur relation, que ce soit la religion, ou l'état social d'Esti, la culpabilité et alors nous devrions les voir se battre pour leur amour. Pourtant tout va juste très rapidement à partir du deuxième acte et de façon bâclée. Elles s'attirent, culpabilisent, se séparent (très brièvement), se font surprendre sans grandiloquence et de façon limite anecdotique, tout le monde est au courant, mais au lieu de créer un fracas dans la communauté, ça ne fait que rouvrir de vieux dossiers que les plus vieux et plus conservateurs trouveront au pire gênants.
La scène d'amour entre Ronit et Esti illustre, à mon sens, parfaitement la superficialité de la façon dont est dépeinte leur romance. Plus que d'illustrer la passion, le laisser- aller après la retenue, nous assistons à une scène de voyeurisme assujetti à la pulsion scopique de la caméra : voila ce que le réalisateur s'imagine être une scène d'amour saphique, à l'instar de la scène de sexe ratée dans La vie d'Adèle: un enchaînement de mouvements incongrue et non réalistes, des échanges de fluides complètement gratuits. En effet, la scène de crachats m'a semblé être la cerise sur le gâteau d'une réalisation déjà déplorable. Il aurait été intéressant de développer ce geste en l'approfondissant avec un flashback explicatif, ou même une référence dans le dialogue, dans lequel les deux jeunes filles adolescentes jouent à échanger leurs fluides tout en découvrant leur sexualité. Mais non ce sont juste des échanges de bave gratuits et pour le moins gênants.
Pour conclure, je dirais que le film pourrait être manichéennement scindé en deux: le début (jusqu'au milieu du deuxième acte avant le retour de la relation amoureuse) et la fin. La première étant une belle exploration du deuil et une tentative à travers une quête identitaire et la deuxième étant une annulation de ces deux premières thématiques au profit d'une histoire d'amour téléphonée et mal exploitée.
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le 8 juil. 2018
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