---------------ATTENTION CRITIQUE QUI CONTIENT DES SPOILERS------------
Bushwick, un petit quartier défavorisé de Brooklyn, est pris d'assaut par une milice texane armée indépendantiste qui a pour but de rejouer la guerre de Sécession et cette fois ci de remporter la victoire sur le Nord fédéraliste. Pour ce faire ils espèrent faire pression sur Washington en bouclant Bushwick une base stratégique de la côte Est qu'ils pensaient complètement désarmés...à tord! Mais tout ceci n'est pas explicité en amont parce que rien n'est explicité en amont. Il n'y a aucune situation initiale posée. Quand nous rentrons dans le film, in media res (le terme ne pourrait pas être plus pertinent ici), l'assaut a déjà éclaté et nous serons laissés dans l'incompréhension des événements jusqu'au milieu du film.
Le spectateur suit le point de vue de Lucy, une jeune étudiante revenue dans son quartier familial avec son petit copain pour aller visiter sa grand-mère. Quand le film commence, le couple est seul dans le métro et ne sait rien de ce qui se passe à la surface. La tension monte petit à petit, les deux protagonistes s'inquiètent que l'endroit soit déserté et à ce moment là...un homme-torche déboule de la surface, entre dans le cadre pour mieux en sortir, laissant le couple terrorisé. La menace, toujours incertaine, se profile de plus en plus. Le boyfriend décide alors de jouer son GI Joe américano-américain et prend l'initiative de remonter le premier. Nous restons donc collés au point de vue de Lucy qui tente de remonter à son tour avant d'être rejetée rapidement vers "l'underground" alors que le corps éclaté de son copain lui tombe dessus, victime d'une explosion à la bombe. La découverte du chaos aérien est toujours subtilement retardé.
A partir de ce moment là nous parcourons le no man's land qu'est devenu Bushwick en caméra portée embarquée au cœur du chaos alors que Lucy essai de rejoindre la maison de sa grand-mère. Elle fait la rencontre d'un ancien vétéran-infirmier reconverti en concierge après avoir perdu toute sa famille dans le 9/11! Le duo atypique décide alors de faire le chemin ensemble jusqu'à une base militarisée ou l'armée américaine est censée envoyer des avions pour évacuer la population.
Le film se compose tel un faux plan-séquence, ce qui a permet de ramifier la temporalité du récit à celle de l'histoire : tout ce passe dans le temps de l'action.
Le jeu d'acteur est vraiment bluffant. Je n'avais vu Batista que dans Les gardiens de la galaxie ou son rôle d'extraterrestre bodybuildé sarcastique lui siait à merveille. Ici, nous retrouvons un homme taciturne, visiblement blessé et renfermé mais qui n'hésite quand même pas à exposer ses faiblesses et demander de l'aide (je pense notamment à la scène ou Lucy lui soigne la jambe et la scène de la buanderie quand il se confie à elle). Il a tout de même fortement les pieds sur terre et représente le roc solide et rassurant sur lequel on a envie de se reposer : si il est là tout va bien car il est indestructible.
Sa mort très soudaine et absurde renforce alors le réalisme de l'histoire : n'importe qui peut mourir à n'importe quel moment, il n'y a pas de moment de repos et ça les personnages et les spectateurs l'apprennent à leurs dépends. En effet, c'est pendant ce cours moment d'intimité entre le vétéran et Lucy, alors que ce dernier se confie sur son passé, qu'il se fait tuer bêtement par une femme apeurée enfermée dans les toilettes. Le film prend alors un second rythme et la deuxième partie du deuxième acte est lancée : Lucy doit prendre la place du vétéran et protéger sa sœur jusqu'au meeting point avec l'armée.
L'évolution du personnage de Lucy est intéressante car elle ne semblait ni forcée ni exagérée. Si comme nous l'avons dit le temps du récit suit le temps de l'histoire sans ellipses, il ne s'est passé que quelques heures depuis le début des événements pour la jeune étudiante. Et pourtant la voila en train de jouer les GI Jane à travers les rues de Bushwick, elle qui n'avait jamais porté d'armes de sa vie. Et bien cet effet de réalisme est dû, à mon sens, en bonne partie au jeu de l'actrice Britanny Snow. Le personnage semble au début complètement paniquée et perdue mais elle est prise très rapidement dans une frénésie d'actions qui ne lui laissent pas le temps d'être une victime, elle agit à l'instinct, souvent conduite par la colère qui émane du stress et de l'absurdité ambiante. J'ai trouvé qu'il y avait beaucoup de véracité dans la manière dont le personnage était dépeint. Dans ce genre de situation extraordinaire personne ne pourrait dire comment il réagirait, a fortiori quand nous sommes uniquement conduit par l'adrénaline du stress.
Le film se termine comme il a commencé : In media res. Il n'y a aucun dénouement et aucun résolution des problèmes. La fin abrupte est signifiée par la mort tout aussi abrupte de Lucy qui tombe soudainement sous les feux échangés. Elle court, elle meurt. Fin. Le spectateur, qui s'est identifié à ce personnage pendant plus d'une heure et demi, ne la quitte finalement jamais. Nous entrons et sortons de Bushwick à travers son regard.
Cette structure, ajoutée à l'utilisation d'un "faux" plan séquence est vraiment originale. Elle dénote complètement avec la structure canonique en trois actes d'un film classique. Plus haut quand je disais que nous entrerions dans le deuxième acte, je me trompais car il n'y a qu'un seul long acte. Un instant de chaos volé.