Magnifique travail de Cyril Schäublin qui arrive à restituer toute une époque : la vie des gens, les personnages historiques, le travail, les technologies... Sans parier sur un budget costume et chevaux de 6 millions.
Le film commence par une scène qui par son cadrage et son décors nous donne tout de suite l'impression d’un un tableau. Avec ces femmes et leurs ombrelles surplombées par des arbres majestueux. Ce flottement dans l'air provoqué par ce plan très long et large, englobant ces arbres soufflé par le vent (dont on imagine le flou de qu'ils devaient créer dans les photographies à l'époque) finira par être rythmé, ordonné par le tic tac de l'exposition de la photo. Schéma que l'on retrouve un peu tout le long du film, des plans de bâtiments et de nature quasi vide et vaste qui se remplissent et sont ordonnés par les gens et le temps qui les pressent.
Cette scène de prologue entre ces personnages qui décrivent de façon distante la situation politique (car aristocrate et au-dessus de tout) nous suffit à nous laisser tranquille pour le restant du film niveau exposition, permettant de se concentrer concrètement sur l'organisation de la vie ouvrière, les gestes, le travail, les pauses...
Même le personnage de Kropotkin qui semble à première vue être le protagoniste et fer de lance de l'anarchisme, est très en retrait et s'introduit presque maladroitement dans ce rouage de l'industrie horlogère à l'instar du spectateur.
Sur les lieux, nous retrouvons ce contraste entre une vie paysanne et cette dystopie capitaliste ou les ouvriers, faisant un travail extrêmement minutieux, sont chronométrés et payés à la seconde près (selon l'un des cinq fuseaux horaires), fabriquant les outils servant à les presser jusqu'à la moindre goutte de profit. Mais malgré ce contexte et les intérêts propres de chacun, la vie s'organise de façon très paisible et communautaire.
Je pense que c'est l'un des films qui illustre le mieux les infrastructures suisse. Tout est très ordonné voir autoritaire mais d'une façon assez fataliste et protocolaire. Il n'y a pas ce côté très affectif et insurrectionnel. C'est comme ça par ce que c'est comme ça. C'est presque le bon ordre des choses même si la situation est en notre défaveur. Je trouve que la scène ou l'ouvrière est envoyée en prison incroyablement réaliste sur ce plan et je pense que toute personne ayant eu affaire à l'administration suisse s'y reconnaîtra. La sentence est rendue poliment, on te condamne et on te souhaite une bonne journée. La scène sur le vote montre aussi bien cette dichotomie entre des règles très strictes, injustes et la collégialité typiquement suisse. J'avais parfois presque l'impression que ce film se passait à notre époque tellement ces réflexes persistent.