Ce film m'a posé beaucoup de problèmes, parce qu'en soit il est bon mais je le trouve "raté". Généralement, j'aime bien le fait que Bigelow essaye de se détacher de son sujet en le montrant de manière la plus neutre possible mais dans le cas de ce film je trouve que cette position "apolitique" (en quelques sortes) n'est tout simplement pas tenable. Ce que j'avais aimé dans Zero Dark Thirty, c'était que l'on puisse voir les moindres rouages du système, mais ici Bigelow s'attache plus à parler à l'émotionnel. Pourtant ce qu'elle montre et bien trop fort et révoltant, et avec les tensions sociales et raciales qu'il y a toujours aujourd'hui, il me semble impossible de ne pas faire passer un sentiment politique en fond. Et pourtant Bigelow choisit clairement de l'éviter.
Le film s'attarde ENORMEMENT sur ce qu'il se passe au motel: les abus et tortures, les mêmes questions qui se répètent en boucle et en boucle jusqu'à en atteindre la nausée (c'est clairement le but) pour se conclut abruptement. A vrai dire, je comprends ce désir de prendre le spectateur par les tripes en montrant 45 minutes de spectacle qu'on voudrait arrêter au bout de 5 minutes, même si je m'interrogeait parfois sur la nécessité, mais le résultat est clairement là. Ce qui m'interpelle surtout, c'est que Bigelow survole totalement les jours qui suivent, juste pour nous dire ce qu'il s'est passé en fournissant brièvement des explications alors que pour moi le coeur du propos du film se situe là.
C'est bien beau de nous montrer des actes racistes écoeurants jusqu'à n'en plus pouvoir respirer, mais le véritable racisme institutionnel américain se trouve dans les événements qui suivirent et qui sont, à bien des égards, bien plus révoltants. Et c'est en cela que je trouve le film "raté", pas parce que Bigelow n'a pas réussi à transmettre ce qu'elle voulait, au contraire (et même un peu trop réussi à mon goût) mais parce que le traitement qu'elle a choisi n'est pas celui que cette histoire méritait, car à part informer les gens qui ne connaissaient pas, le film n'apporte aucun élément de réflexion puisqu'il pointe plus le doigt sur les individus que sur le système (à part peut-être un peu au début). Seul le personnage de John Boyega a le droit à un traitement quelque peu ambiguë mais c'est plutôt volontairement étouffé pour conserver justement cette ambiguïté. En bref, Detroit a vraiment le mérite d'être vu même s'il faut s'accrocher, mais on peut regretter que la réalisatrice ait préféré privilégié l'horreur à la réflexion. Je pense qu'un peu moins de flics torturant des noirs et un peu plus de lumière sur les raisons qui ont amené l'issue du procès auraient pu grandement profiter au film.