Detroit est un film engageant, à plusieurs titres. D'abord parce que Détroit (le mot), surtout lorsqu'il est prononcé Dytroye comme ici et non pas Dytr-oïï-te (comme le suggère la si particulière diction américaine), évoque une certaine nonchalance inquiétante, sans doute la similarité sonore avec Destroy (certes beaucoup plus radical ).
Detroit, (la ville), fascinante friche industrielle, déclarée en faillite en 2013 est une vraie ville de cinéma, un décor urbain déconstruit, la promesse qu'il s'y passera toujours quelque chose de peu ordinaire (bon le nombre de films d'horreurs furent tournés dans la ville ces dernières années).
Enfin Detroit, (le film) parce que Kathryn Bigelow depuis quelques années et quelques films sait nous déconcerter en plantant sa caméra au plus profond des douleurs de l'Amérique moderne, pour en explorer toutes ses contradictions à travers son histoire récente (la guerre en Irakdans "Démineurs", la traque de Ben Laden dans Zero Dark thirty).
Ce cinéma brut,à la frontière du documentaire et à la narration élaborée dans lequel chaque détail est étudié pour livrer des œuvres d'un réalisme impressionnant, donne à penser que Detroit peut devenir un film important sur un sujet toujours délicat à aborder au cinéma.
Ville de "dytroye" donc, été 1967 dans les quartiers noirs de la ville, sont massées les populations déshéritées, humiliées par une police violente, raciste. Une arrestation musclée dans un cercle de jeu illégal provoque les premiers mouvements de révolte anti-policière. Caméra en mouvement, immersion totale au cœur des rues fiévreuses, le premier acte du film, (le plus court malheureusement), est très réussi. Bigelow nous plonge au cœur de la ville ravagée par les émeutes, la tension, la peur sont palpables, la narration est efficace, la prise de position assumée et courageuse.
La réalisatrice choisit ensuite de centrer son propos sur les exactions policières qui ont conduit aux meurtres de plusieurs jeunes afro-américains dans un motel, et , même si certaines scènes sont éprouvantes dans la violence et la haine déployées, le propos perd peu à peu de sa force dans ce deuxième acte -le plus long du film-.
Le point de vue global, la tentative de contextualisation historique développés au début du film sont abandonnés au profit d'une vision plus réduite, exposant dans des scènes interminables parfois, la cruauté humaine de ces bourreaux policiers traversés par la haine raciale. Ainsi filmé à hauteur d'homme, le drame perd de sa grandeur en réduisant sa profondeur de champ. Le discours alors si percutant s'étiole en ce concentrant sur les agissements de ces êtres mentalement dérangés et, ce qui aurait pu (ce qui aurait dû) être une œuvre engagée sur les échecs de la politique sociale et raciale d'un pays, ne dépasse au final que très peu le cadre réducteur du fait divers abominable.
La dernière partie du film est une vaine tentative de "recontextualisation", puisqu'elle aborde le procès et le verdict "surprenant" qui ont suivi les événements, mais le tout est traité trop confusément pour redonner un élan suffisant au film.