Autant vous l’avouer tout de suite puisque vous le savez depuis longtemps, Aldrich, c’est mon mauvais goût à moi, mon petit maître fétiche, mon big Bob d’amour qui tâche la pellicule comme personne…
Après un long apprentissage auprès des plus grands, Robert fait des débuts tonitruants en dynamitant les genres les uns après les autres, le tout en petit budget et souvent grâce à Burt Lancaster qui aide à la production… En une petite quinzaine d’années il a franchit toutes les étapes, fait tourner Bette Davis, Gary Cooper et James Stewart, a torché lamentablement un ou deux films de commande, s'est exilé sans succès en Europe et vient même de remporter un immense succès avec les Douze salopards c’est dire si une fin de carrière dorée à souhait lui tend les bras…
Sauf que, avec l’argent, à la place il construit ses propres studios et il tourne une poignée de films bien crades avec des acteurs aux gueules pas possibles et parfois un vieil ami qui passe dire bonjour, Lancaster, Borgnine, Marvin…
C’est sa Dirty Dozen de la liberté, ses douze derniers films, plus sales que du Peckinpah, avec la bonne vieille pellicule 70’s par-dessus, une certaine idée du paradis… Et tant pis si après cinq films il doit déjà revendre ses studios, le pli est pris, sa compagnie de production fera le reste…
Non pas d’ailleurs qu’il avait fait montre jusqu’ici d’une tenue impeccable dans la description des mœurs, non, loin de là, des soldats lâches, des cow-boys sans scrupules parfois incestueux, de vieilles harpies toquées, des producteurs répugnants ou des privés sans espoirs formaient déjà le matériel principal de ses histoires…
Mais à partir de 1968, Aldrich lâche les chiens, brides au cou, il refait tout, mais en pire, avec des producteurs plus ignobles, de vieilles lesbiennes obèses jalouses des cow-boys désabusés comme jamais, des soldats encore plus lâches qu’auparavant, des hobos qui « tapent le dur » pour l’honneur et des gangsters consanguins comme s’il en pleuvait…
Il y a Burt Reynolds aussi, souvent, ça fait un peu peur et je n’ai pas encore tout vu, mais c’est forcément très crade…
Et moi, qui n’aime pas particulièrement le crade ailleurs, chez Bob, j’y vois de l’humanité comme rarement ailleurs, de la tendresse bourrue, ça me parle… Aussi, lorsqu’en 1981 Aldrich tourne un film de catch féminin avec Peter Falk en manager, je ne sais pas pourquoi, ça me fait envie…
Et le pire c’est que le film tient toutes ses promesses, nous sommes dans ces sortes de road movies sportifs cradingues des 70’s qui explorent l’Amérique plus ou moins profonde à travers des rêves naïfs de gloire absconse, entre Junior Bonner, Cockfighter et La Castagne… Le rêve américain à l’état brut dans des décors à la Wanda, c’est toujours très chouette à voir…
Sinon, c’est pas une blague, c’est bien un film sur du catch féminin, avec une blonde et une brune qui n’ont pas inventé la poudre mais qui préfèrent encore les matchs sous-payés à la petite semaine que le job de standardiste… Ce sont les California Dolls, paraît que ce sont les plus jolies dans le milieu, enfin, faut voir ce qu’il y a en face quand même, la concurrence est plus rude au tapis, et nos deux greluches auront fort à faire pour garder un peu la tête hors des cordes, surtout avec un manager aussi fripouillard, le petit borgne de l’esbroufe à la batte de baseball bien pendue et le dicton qu’il faut pour chaque occasion… Avec ça qu’il ne s’étrangle pas de scrupules quand on peut grappiller ici où là quelques dollars sur leur fierté d’athlètes, la boue ne fait pas le moine, comme je dis souvent…
Alors, comme d’habitude, il y a le match de la dernière chance, pas à Las Vegas pour une fois, mais chez la petite sœur, faudra se méfier d’ailleurs, chacun sait que Reno sans arme est dangereux…
Il y a tout ce qu’il faut dans ce film, et même l’improbable, le fait de donner au « sport » en question, à force de trucages, de bluff, de tricheries, d’arbitre acheté, de paris douteux et de coups tordus comme une vague impression de jeu de hasard, où les dés pipés ne répondraient pas aussi bien que dans la main de Peter Falk, mais qui finirait par former le match de catch le plus spectaculaire de l’histoire du cinéma.
Avec cette dernière réussite, condensé improbable de misère sociale, de paillettes et d’attendrissement, le gros Bob tirera sa révérence, l’homme au corps d’airain périra par les reins, forcément, et laissera un vide à la taille de son imposante stature, c’est à dire gargantuesque.