Les frères Dardenne et le festival de Cannes, c’est une grande histoire d’amour. En effet, dès leur premier long métrage Je pense à vous, ils s’inscrivent dans la prestigieuse compétition cannoise (à la quinzaine des réalisateurs) puis avec Rosetta en 1999 gagnent la Palme d’or. Tous leurs films par la suite feront partie de la compétition officielle et la plupart seront primés (Palme d’or pour L’enfant, grand prix du jury pour Le gamin au vélo, prix du scénario pour Le silence de Lorna…). Il est donc légitime de s’interroger sur le pourquoi d’un tel engouement cannois pour les deux réalisateurs belges. Tout simplement car le dessein du festival de Cannes est de mettre en avant des auteurs avec une vision originale et novatrice du cinéma et il est vrai que les frères Dardenne font partie de ces rares cinéastes à avoir un regard véritablement singulier sur ce dernier (décors épurés, ancrage réaliste et social, caméra à l’épaule qui suit le parcours d’un personnage).
Ainsi leur dernier né Deux jours, une nuit, ne déroge pas à la règle et se trouve en compétition au 67ème festival de Cannes, une nomination des plus méritées car, si certaines de leurs productions étaient un peu plus faibles (l’évolution du récit, le discours proposé), celle-ci compte parmi leurs meilleures. Cette nouvelle œuvre suit Sandra (Marion Cotillard extraordinaire) au cours d’un week-end où elle va devoir convaincre ses collègues de renoncer à leur prime pour qu’elle puisse garder son travail. Le concept aurait pu être répétitif (elle va se rendre chez ses camarades un par un et exposer les mêmes arguments) mais c’est là tout le génie des frères Dardenne qui arrivent par de subtiles variantes à rendre ce parcours surprenant et empreint d’une douce humanité. L’émotion est toujours en retenue, sincère et le combat de Sandra devient le nôtre. Les frères Dardenne ont, de plus, l’intelligence de ne pas juger (ceux qui refusent de perdre leur prime sont tout aussi touchants) mais plutôt de dénoncer un système capitaliste qui broie l’humain au profit de l’argent. Certes, ce constat est usité mais il est narré avec une telle finesse et profondeur qu’il en devient subjuguant et ne peut nous laisser indifférent. Deux jours, une nuit est donc un très grand film de cinéma, de ceux qui nous marquent, nous transportent, nous bouleversent, en définitif, de ceux qui ne s’oublient jamais.
Zoom sur … Marion Cotillard, l’insoumise
Seconde française à recevoir le prestigieux oscar de la meilleure actrice (pour sa prestation dans La môme), Marion Cotillard accède par conséquent à une reconnaissance internationale, et sera dès lors admirée et dépréciée au fil de ses prestations. En effet, débutant sa carrière dans les années 90, elle rencontre le succès en jouant la petite amie de Samy Naceri dans Taxi. Elle est d’abord cantonnée aux comédies et drames populaires mais révèle rapidement son grand talent en jouant pour Tim Burton (Big Fish) et Jean Pierre Jeunet (Un long dimanche de fiançailles). La môme la consacre comme actrice d’exception (elle interprète à la perfection une Edith Piaf dans plusieurs âges de sa vie) mais elle aura par la suite des interprétations plus controversées (sa mort dans The Dark Knight rises est surjouée, dans Blood ties, son interprétation d’une maquerelle italienne est mauvaise…). Surprenante et non conformiste, avec Deux jours, une nuit (il est étonnant de la retrouver dans le cinéma des frères Dardenne plutôt habitués aux acteurs débutants), elle nous fait cependant redécouvrir son grand talent. Son jeu à la fois ancré dans le réel et empreint d’une émotion retenue démontre une force de caractère incroyable et pour sa seule prestation, l’œuvre vaut le détour.