Deux jours, une nuit par Gérard Rocher La Fête de l'Art

C'est sans doute le week-end le plus redoutable et le plus décisif que va devoir vivre Sandra. A la suite d'une dépression nerveuse qui l'a tenue éloignée de son travail un certain temps, elle est victime d'une manœuvre de son patron, un vendredi, visant à la licencier avec pour monnaie d'échange une prime de mille euros à chacun des autres membres du personnel. Obtenant un nouveau vote pour le lundi, Sandra n'a que deux jours et une nuit pour essayer de convaincre ses collègues de renoncer à cette prime et ainsi avoir une chance de conserver son poste. Elle n'en demande pas plus mais c'est déjà beaucoup...


Sandra est une jeune maman de deux adorables enfants et vit avec un mari s'impliquant entièrement dans les problèmes que traverse successivement son épouse. Fragilisée par une dépression elle reprend son travail dans une entreprise, en Belgique, dont le directeur milite pour la rentabilité à outrance. Il est bien certain que les problèmes humains sont loin d'entrer dans son appréciation et ce qui doit se produire dans ce cas arrive par l'intermédiaire d'un plan machiavélique mis au point avec le contremaître: une prime substantielle contre l'acceptation par le personnel du départ de leur collègue. Avec ce petit coup de pouce inattendu les projets matériels, les crédits, les loisirs vont pouvoir trouver un aboutissement ou se réaliser pour ces gens mal payés. Pour la pauvre Sandra le chemin de croix démarre.


Comment convaincre, en un week-end, ces personnes gagnant modestement leur vie! Comment retourner le vote des collègues attachés, pour la grande majorité, à cette prime promise et désormais attendue comme une bénédiction! Maintenant il lui faut faire le porte à porte pour affronter tous ceux qui auront un bon prétexte pour privilégier la prime au maintien d'une "dépressive" dans leur entreprise. C'est avec courage et détermination, avec des périodes d'espoir mais aussi de désespoir que la jeune femme va entreprendre cette pénible démarche toujours soutenue par son mari. Deux jours, une nuit, c'est le temps qui lui est imparti avant le nouveau verdict, cette fois irréversible.


C'est dans un véritable suspens social que nous entraînent Jean-Pierre Dardenne et Luc Dardenne. On ne peut s'empêcher de suivre avec angoisse et compassion ce calvaire, ce pari inimaginable qu'entreprend Sandra sous anxiolytiques, sonnant à la porte de ses collègues avec cette phrases revenant comme un leitmotiv :"*je viens te voir parce que vendredi, avec Juliette, on a vu Dumont et il va y avoir un nouveau vote lundi, parce que...*" Les réponses qui reviennent à Sandra, favorables ou non, sont humaines et compréhensives aussi bien pour elle que pour nous, spectateur de cette tragédie. Les réalisateurs n'en rajoutent jamais, tout est juste et en suivant cette œuvre captivante on entre franchement dans l'intimité de Sandra et des gens qui l'entourent. Il nous est même difficile d'en vouloir à ceux qui la rejettent, la vie est ainsi faite. Sandra et sa petite famille n'est pas la seule à subir les préjudices de cette période difficile où les entreprises ne font aucun sentiment en multipliant les pressions sur leur personnel, en licenciant abusivement, en décentralisant malgré les bénéfices qui bien souvent s'accumulent.
Dans ce rôle terriblement émouvant Marion Cotillard excelle tout en sobriété et en retenue. Elle garde comme elle peut sa dignité face aux autres. Malgré le mal qui la ronge et la honte qui la tenaille, elle se cache pour pleurer, elle avale des cachets pour l'aider à tenir le coup, il lui arrive même de remettre en cause l'amour que lui porte son mari. La caméra la suit sans cesse et nous entrons dans ce personnage en cours de destruction. C'est l'un des plus grands et difficiles rôles de l'actrice dont on ressent toute son implication pour son personnage. Il en est de même pour les autres acteurs de ce film à commencer par Fabrizio Rongione dans le rôle de Manu, le mari de Sandra. Il soutient avec beaucoup de douceur et de persuasion son épouse afin de la tirer de ce cauchemar. Lui aussi nous émeut par la justesse et la sincérité de son personnage et de son jeu. Les autres acteurs ne sont pas en reste et sont très crédibles et parfois même très émouvants.


Voici donc une œuvre qui n'a pas obtenu les faveurs du jury de Cannes 2014 mais peu importe, car l'œuvre des frères Dardenne restera dans les mémoires de ceux qui se sentent concernés par l'actualité sociale dramatique de notre époque. Marion Cotillard souvent décriée bien injustement marquera pour bien longtemps les esprits de tous ceux qui souffrent ou ont souffert des injustices, de l'individualisme et de l'indifférence souvent cruels.


Bref un grand, un très grand film qui nous offre un témoignage fort réaliste de notre foutue époque. Cette réalisation magnifique est la bien venue pour réveiller les consciences et personnellement je n'y vois là que les qualités d'un chef d'œuvre.

Grard-Rocher
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Créée

le 30 mai 2014

Modifiée

le 26 mai 2014

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