nov 2010:

J'aime Jean-Luc Godard. Je crois que la dernière chronique que j'ai publié sur un Godard ("Le mépris, si je ne m'empapaoute) commençait déjà par une introduction aussi laudative pour ensuite se modérer considérablement. Souci bourgeois de ne pas heurter la sensibilité des lecteurs fans du cinéaste car j'estime en faire partie? Il est question là de degré. Mon appétence pour l'expérimentation a des limites. Ce film-là les dépasse, dans toutes les largeurs.

J'ai parfois un peu de difficultés à apprécier la philosophie, par exemple quand elle s'aventure sur les terrains accidentés de l'abstraction la plus éloignée du réel. J'ai souvent l'impression de m'embourber dans des réflexions vaines, vers des questions sans réponse. Pourtant, enfant et jeune adolescent, j'aimais à m'interroger sur l'existence de Dieu ou comme ici sur la perception du réel ou la validité des langages mais ensuite, quand la réflexion fait apparaitre l'impossibilité de répondre définitivement à ces questions, une dose de pragmatisme a fini de recouvrir tout cela d'un manteau plus douillet et que ce film révèle peut-être plus épais que je ne l'envisageais. Voilà un point fort peut-être du film : mettre au jour un rejet de ce type.

En effet, écouter ces dialogues ou soliloques sur la manière dont les mots et les choses sont constitués et utilisés par rapport à la réalité des mots et des choses m'a rappelé ces débats ancestraux qui ont eu leur importance, notamment dans l'Antiquité puis au Moyen-Age mais qui paraissent aujourd'hui un peu datés.

En fait, je suis persuadé que Godard s'amuse. L'aspect ludique de sa réflexion et du non sens profondément espiègle de ses provocations finit par me lasser faute d'une intrigue. Je crois que j'ai besoin pour porter ces pensées d'une ossature concrète, de personnages plus consistants, plus réels, ou plus poétiques, comiques pourquoi pas, pour pouvoir partir vers des abstractions et élucubrations constructives. Or, ici, point trop de salut provenant du scénario, ni des personnages, du moins en ce qui me concerne. Les mots et les images se noient dans les couleurs et les formes, des objets filmés comme des cadrages. Parce qu'en plus, Godard y mêle une réflexion plus courte sur la société de consommation et l'actualité belliqueuse des américains au Vietnam. Le fatras du réel filmé par Godard n'invite pas vraiment à goûter la réflexion, mais à l'avaler. Je ne dois pas être comme je l'ai déjà précisé un assez bon auditeur de philosophie pour pouvoir l'écouter et l'apprécier par un film aussi décousu.

Est-ce que je préfère amplement lire la philosophie?
Non. Pas forcément. J'en veux pour preuve l'adoration que je voue à "Ma nuit chez Maud", œuvre autrement mieux écrite et fortement imprégnée de philosophie, si ce n'est construite sur la philosophie. Certes, les thèmes sont bien différents; il n'empêche, avec un scénario ancré dans le réel, Rohmer élabore une œuvre à la fois poétique et philosophique alors qu'ici Godard m'emmerde. "2 ou 3 choses que je sais d'elle" m'est apparu extrêmement pompeux, rempli de phrases creuses, de poses que je soupçonne de pseudo-philosophiques (la mauvaise humeur me rendrait elle hargneux et de mauvaise foi?). A part la très belle illustration d'une thèse avec un gros plan sur les bulles d'air qui remontent à la surface d'un café noir, je n'ai pas vu de véritable sens à la cinématographie philosophique du film et je me suis prodigieusement emmerdé. Je n'avais jamais ri devant les propos d'un personnage sérieux débitant des phrases pour le plaisir de l'intangible, voilà, c'est fait. La contradiction systématique, voire en l'occurrence "systémique" à laquelle le film parfois nous invite m'a terriblement fatigué. Merde, j'ai passé l'âge de ces conneries! Avançons, s'il vous plait!

Le semaine dernière, j'ai écouté Claude Lelouch dans "Regarde les hommes changer" de Frédéric Taddéi, sur Europe 1 où le cinéaste a évoqué son confrère Godard et le virage qu'il prit à un moment donné vis à vis du public. En gros, il disait que tous deux inventaient leur cinéma, expérimentaient, prenaient des risques mais que lui, Lelouch gardait toujours le souci de ne pas emmerder le spectateur. J'avais trouvé un peu fort qu'un cinéaste pour lequel par ailleurs j'ai une certaine admiration mais qui fait preuve parfois d'une certaine immaturité fasse la leçon à un autre "enfant". Mais j'avoue que la "puérilité" et l'absence totale d'attention (du moins en apparence, je suis sûrement trop con ou inculte ou les deux pour m'en apercevoir) à l'égard du public a fait résonner ces sentences d'un ton nettement plus audible. Je crois que je partage son opinion finalement.

En tout cas je finis par m'interroger sur les intentions de Godard. Faire chier le monde? Oui, bien évidemment et c'est tout à son honneur. Mais je crois qu'il se masturbe beaucoup, là. J'entends par là que de construire de tels films, de proposer de telles réflexions aussi désorientantes, de provoquer autant de gêne et de malaise, de révolutionner sans arrêt sa manière de filmer, bref faire des films aussi originaux mais sans poésie, sans spectacle, aussi secs qu'un discours politique du parti, sans humour, ni réalité palpable, sans émotion, est en soi un exercice facile, très libre et aussi amusant et jouissif à créer qu'emmerdant à subir. En gros, je pense que j'aurais bien eu plaisir à écrire "2 ou 3 choses que je sais d'elle". C'est très ludique, certainement, très agréable d'écrire quelque chose de neuf destiné à perturber le récepteur et à paraitre d'une profondeur intellectuelle. Et tellement facile de montrer la fragilité du réel en affirmant une chose et son contraire dans la minute, pour souligner que le langage est douteux, que la réalité telle qu'on la perçoit est douteuse, qu'il faut se méfier de tout et surtout des couleurs et formes attrayantes que la société de consommation s'échine à nous faire avaler. Facile et branlatoire, de la production d'ado. La subversion et la poésie d'un "A bout de souffle" ou d'un "Pierrot le fou" me manquent terriblement.
Alligator
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le 15 avr. 2013

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Alligator

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