Deux sœurs
6.6
Deux sœurs

Film de Mike Leigh (2024)

Incidemment, on se demande ce qui a pu motiver les distributeurs du film à s'éloigner autant du titre original "Hard Truths", "Dures vérités" aurait par exemple fait un meilleur titre en français.

Au cœur du récit, Pansy, interprétée par une Marianne Jean-Baptiste électrisante, incarne une femme dévorée par la rage. Son existence est un combat perpétuel contre un monde qu’elle juge hostile, et ses interactions sont autant de batailles. Leigh cisèle ce personnage comme une sculpture de douleur : ses dialogues cinglants, ses silences lourds de ressentiment, son mépris pour toute forme de faiblesse en font une figure tragique et terriblement vivante. Face à elle, Chantelle, sa sœur, rayonne de chaleur humaine. Propriétaire d’un salon de coiffure, elle incarne la résilience par l’écoute et la tendresse, offrant un contraste saisissant avec la noirceur de Pansy.

Leigh excelle dans l’art de dépeindre les dynamiques familiales. Autour des deux sœurs gravitent des personnages meurtris : Curtley et Moses, écrasés par l’ombre de Pansy, errent comme des fantômes dans leur propre vie. Le réalisateur explore avec une sobriété remarquable leur impuissance, leurs silences éloquents, leurs corps qui portent le poids de l’échec. La mise en scène, épurée, presque documentaire, laisse toute la place aux visages et aux mots, creusant jusqu’à l’os les blessures invisibles.

Le film dépeint aussi une société où le travail et l’espace public deviennent des champs de bataille. Pansy, en guerre permanente, agresse caissières et médecins , Alaisha subit l’humiliation professionnelle, Curtley use son corps dans des métiers ingrats. L’extérieur est une menace, un lieu de déclassement et de violence, comme en témoigne la scène où Moses, raillé par des inconnus, incarne l’homme invisible, réduit à sa solitude.

Mais "Deux sœurs" n’est pas qu’un constat désespéré. Lors de la Fête des mères, deux scènes d’une intensité rare – au cimetière, puis chez Chantelle – font émerger une lueur d’espoir. Sans verser dans le sentimentalisme, Leigh suggère que les traumatismes peuvent, parfois, se dire, se partager. La force du film réside dans cette humanité crue : il montre combien nous peinons à nous aimer, combien la peur de ne pas être aimé nous ronge, et comment, malgré tout, nous tentons de tenir debout.

"Deux sœurs" confirme que Mike Leigh reste un maître de l’introspection sociale. Son cinéma, sans fioritures, frappe par sa vérité et son émotion brute. Ce n’est peut-être pas un film pour les amateurs de légèreté, mais c’est une œuvre nécessaire, qui rappelle que le cinéma peut être un miroir impitoyable – et magnifique – de nos fragilités.

Radiohead
8
Écrit par

Créée

le 3 avr. 2025

Critique lue 32 fois

1 j'aime

Radiohead

Écrit par

Critique lue 32 fois

1

D'autres avis sur Deux sœurs

Deux sœurs
Yoshii
6

Desperate Housewife

Ceux qui ont abandonné l'œuvre Mike Leigh au cœur des années 1990 (et ils sont certainement nombreux) se souviennent probablement d'un cinéma poussiéreux imprimé sur d'antiques pellicules...

le 2 avr. 2025

18 j'aime

9

Deux sœurs
Cinephile-doux
7

En souffrance

Mr. Turner et surtout Peterloo, les deux derniers longs-métrages historiques de Mike Leigh, n'avaient que peu convaincu, il était plus que temps que le cinéaste britannique revienne à ce qu'il sait...

le 11 févr. 2025

8 j'aime

Deux sœurs
DYNASTIA
8

Toute et son contraire

L’étude du personnage de Pansy Deacon (Marianne Jean-Baptiste), la femme au foyer londonienne d’âge moyen dans Hard Truths de Mike Leigh, va tellement au-delà des clichés des « gens qui me...

le 13 févr. 2025

8 j'aime

10

Du même critique

To the Moon
Radiohead
5

Sans lui svp !

Il suffit parfois d'une simple erreur de casting pour tout gâcher, on ne peut que regretter de voir Channing Tatum prendre autant de place dans "To the Moon" face à sa partenaire en super woman. Un...

le 13 juil. 2024

7 j'aime

2

Le Ciel rouge
Radiohead
8

Conte aux accents rohmériens

Avec "Le Ciel rouge", Grand Prix du jury à Berlin 2023, le réalisateur livre un conte rohmérien à l’heure de tous les dérèglements, avec un quatuor d’acteurs qui déconstruit le récit avec une...

le 7 sept. 2023

7 j'aime

Memory
Radiohead
7

Réparation par l'amour

Quel plaisir de retrouver Jessica Chastain, cette fois dans un rôle austère à l'opposé de ses prestations habituelles de rousse flamboyante, mais toujours aussi magnifique. Le réalisateur mexicain...

le 31 mai 2024

6 j'aime