- I open
Up the paper
There's a story
Of an actor
Who had died
While he was drinking"
-------Tom's Diner (chanson de Suzanne Vega)
Je me gausse bien du fait que Bill Holden a joué son rôle de Richard Benson alias Rick entre deux cuites, ce qui ne laissait que de bien courts intervalles de film utilisables. Oui, Holden picolait ferme durant cette période de sa vie, période durant laquelle il noyait ses déceptions amoureuses (en plus de son affaire cahin-caha avec Capucine, le rôle avait ravivé la flamme de l'intrigue qui l'avait lié à Audrey Hepburn lors du tournage de Sabrina 10 ans plus tôt...). La spirale autodestructrice de la plus passionnée de ses affaires, celle qui renvoyait ses intrigues féminines dans un arrière-plan embué de vapeurs éthyliques, allait le confronter une première fois avec la faucheuse des verts pâturages, 4 ans après le tournage, près de Pise. L'homicide involontaire qui en résulta, assorti d'une sentence sur probation donnée par les autorités italiennes, allait-il le faire chuter de son âne en route pour Damas? Bien sûr que non! Holden n'aimait pas l'alcool, il le vénérait comme un païen, comme Errol Flynn, et à l'âge de 63 ans, Holden, un des derniers monuments de l'âge d'or du Hollywood des grands studios, un des derniers très grands acteurs d'avant la Méthode, il prit une cuite de trop et se péta la fiole seul, dans son appartement où on ne le retrouva que 4 jours après son décès par hémorragie.
Pourquoi cette longue intro sur l'alcoolisme de Holden? Après tout, il y a aussi Audrey Hepburn, étincelante (un pléonasme, je sais - a-t-elle déjà été terne?), avec un je-ne-sais-quoi de début de maturité, d'une phase où désormais, on ne l'entendrait plus prononcer "darling" à chaque phrase, comme un signe de ponctuation ?
Parce que ce film qui est centré sur les ambiguïtés d'une mise en abyme où les frontières s'interpénètrent sans cesse ni limite, est transporté par les épaules solides d'un William Holden qui ne joue presque pas tant il EST Richard Benson, écrivain alcoolique surpayé par un système de production cinématographique qui se fait exploiter par l'écrivain autant que ce dernier se fait espionner par le producteur par l'entremise de la belle Gabrielle (Audrey Hepburn), débarquée chez Benson avec Richelieu, cet oiseau qu'on ne voit jamais mais qui n'est pas un cardinal (apprécier le charmant sobriquet...). Benson est Holden et vice-versa. Seule sa profession a été changée d'acteur à auteur de scénarios. À la limite, puisque le scénario pondu par le tandem Gabrielle/Richard met en vedette ce duo d'auteurs jouant respectueusement Gaby et Rick (et oui!!), les rôles de gentleman cambrioleur "menteur et voleur" et d'espionne à la solde de la police française au summum de l'incompétence proverbiale qui lui colle constamment à la peau dans l'esprit de Hollywood. Or, dans le scénario abracadabrant et complètement déjanté du projet de film dans lequel le couple Holden/Hepburn ne cesse de se transposer (et baptisé "La fille qui vola la tour Eiffel", rien que ça!!) au point que le film est relégué au rang de vulgaire MacGuffin, c'est un amour de comédie romantique classique qui naît. On pourrait reprocher au couple de ne pas y mettre beaucoup de conviction, mais il ne pouvait en aller autrement. En réalité, Hepburn fit l'impossible pour tenter d'éloigner Holden de la dive bouteille via Deux têtes folles: elle s'était engagée à jouer dans ce film avec l'espoir un peu naïf que son influence réussirait à relancer la carrière de Holden, dont l'alcoolisme avait commencé à ruiner sa réputation dans la jungle hollywoodienne. Mal en prit à Hepburn: Holden était toujours amouraché de l'actrice (déjà mariée á Mel Ferrer), et l'inaccessible étoile le poussa à arroser encore plus son dépit amoureux au lieu de le remettre sur les rails.
Et je me moque bien des critiques qui trouvent ce "film dans le film" éculé comme concept. À l'époque (réalisé en 1962, le film ne fut retiré de la tablette et lancé qu'en 1964), Deux têtes folles était innovateur, et si le cinéphile du 21ème siècle le trouve rempli de situations convenues, c'est que l'idée de la mise en abyme d'un film a été reprise ad nauseam depuis 1964. Rendons à Holden et Hepburn ce qui appartient à Bill et Audrey.
Je me balance aussi de l'aspect vieilli de ce type de comédie romantique pour des raisons similaires. Comme un soufflé, la recette fonctionne ou pas, et dans ce cas-ci, si on se laisse prendre par le premier degré et des clins d'oeil innombrables à l'univers du cinéma hollywoodien, à la facilité dans laquelle se prélassent beaucoup de parasites dépourvus de talent suçant les mamelles du système des grands studios sans y contribuer artistiquement, on se surprend à rire aux éclat.
Les longues envolées oratoires prodigieusement comiques de Holden qui ponctuent la genèse du film dans le film sont à savourer encore et encore. Une Hepburn qui laisse poindre pour la première fois un côté foncièrement déluré et beaucoup moins vertueux et ingénu que le personnage de candeur incarnée qui collait à l'actrice depuis Vacances romaines - au point qu'on avait peine à l'imaginer disposant des hommes avec "des billets de 50$ pour la salle d'eau" dans Diamants sur canapé. Autant de raisons pour tomber sous le charme de l'œuvre. L'humour a juste ce qu'il faut de subtilité pour titiller l'esprit sans contorsions. On rit facilement -TRÈS facilement - mais sans vulgarité. Il en faut de l'esprit pour arriver à faire accepter l'alcoolisme de l'écrivain sans sourciller ni rire grassement. C'est que l'humour qui baigne tout le film n'insulte jamais notre intelligence, contrairement aux tendances si omniprésentes des 'romcoms' contemporaines plus rompues à l'humour scatologique.
Je m'en voudrais de ne pas mentionner l'humour caustique et l'autodérision des interventions de Tony Curtis, qui a un rôle mineur, et qui justement, tourne le fer dans la plaie des innombrables acteurs débutants et talentueux qui se voient souvent forcés de s'effacer pour ne pas voler la vedette aux protagonistes principaux. Son imitation du jeune acteur issu de l'école de la sacro-sainte "méthode" - un Marlon Brando de caricature en scooter et aux clichés beatniks - est inénarrable.
Donc, toute note inférieure à 6 n'a rien compris au film ou relève d'un sens de l'humour déficient.
Pour ma part, j'ai décidé d'y aller jusqu'à 8/10 pour un très long moment de pure hilarité grâce au talent fou des protagonistes et au caractère totalement loufoque de l'entreprise. À voir!