Enfin Jacques Audiard fait un film non violent… Merde. Je crois que j’ai parlé trop vite.

Et la palme d’or fut…une surprise. Personne ne l’attendait celle-là. Et bien évidemment, il ya polémique, pour ne pas changer. Audiard restant Audiard, il fait parler. Et on fait parler son film, on y voit à peu près ce qu’on veut. On veut y voir ce qu’on veut. On a oublié qu’il est avant tout un styliste, qui taille à grands coups de hache. Cinéma abrupt, vision tranchante, souvent en porte à faux, sincère ou pas, on ne sait jamais sur quel pied danser, même si on admire son aisance technique, sa pâte graphique, on a parfois tendance à le perdre en route. D’où la tentation de prendre tout au premier degré, comme dans Dheepan. 

Alors un film en sanscrit sous-titré on a. Une histoire de migration rocambolesque, l’aventure d’une famille constituée de toutes pièces, fausse. La guerre et le deuil débutent le film. Dheepan sort de l’Enfer, et veut son petit coin de paradis. Il se crée une famille avec une fausse femme, et une fausse fille, (c’est plus facile pour avoir les papiers), et se retrouve gardien dans une banlieue hexagonale. Pour lui qui n’a rien, c’est le paradis, ou plutôt le rêve. Tout est vrai, mais faux. Même sa femme factice lui fait comprendre qu’il déraille, il fait son film, et prend ses désirs pour la réalité. Mais, le rêve semble plus fort que la fiction. Conflit. Elle voulait rejoindre sa famille en Angleterre, lui fait table rase du passé, (qui va le rattraper), et veut rester ici.


Ce film est compliqué, et est a plusieurs de niveaux de narration, beaucoup de choses se bousculent, ou sont évoquées. Vu certaines critiques assassines, je m’attendais à beaucoup plus violent, connaissant le personnage et son cinéma. Là, je vois un film mature, très calme, en apparence. Je vois un quartier banal, des problèmes de banlieue comme il y en a partout. Des jeunes qui trafiquent ? Y a ça partout. De la débrouille, des petits trafics, la survie. Un immeuble massif, éléphantesque, immobile, tout carré, comme un cube, ou une cage à poules. Et Dheepan se met en tête de réparer les petits bobos, et essaye de s’intégrer, petit à petit. Beaucoup de spectateurs se sont facilités la tâche en se dépêchant de voir un mauvais film qui « critique » la banlieue ?? Les mêmes qui vont sûrement encenser Scorsese ou Tarentino (entre autres), pour exactement les mêmes raisons.


Quid de cette évidente incommunicabilité entre tous les personnages? Dheepan, sa femme, sa fille, ses voisins, les voisins entre eux ? L’entente cordiale, on appelle ça en langage militaire. On ne se s’aime pas, mais on se supporte. Fiction/réalité, (fausse famille, vraie banlieue). Le meeting pot religion-culturel, qui sommeille dans la banlieue. Il pose le problème de la guerre et du territoire. Dheepan pense vraiment être dans un pays en paix, mais la paix c’est quoi ? Son job, mal payé, personne n’en voudrait. D’où la fameuse scène : No fire zone. Il protège son territoire, et trace une ligne blanche à ne pas dépasser. Et ces jeunes qui ne savent pas le sens des mots, ou la discipline militaire, il les regarde avec curiosité. Encore un rêve qui tourne mal…

Ces jeunes veulent jouer au caïd, mais ne connaissent pas les codes de la vraie guerre, et les zones de repli. Halte au feu ! No fire zone ! C’est quoi la guerre en temps de paix ? C’est comment ? Audiard va loin, et prend beaucoup de risques. C’est quoi cette intégration plus fantasmée que réelle ? Et pour résoudre l’équation, son côté nihiliste reprend le dessus. Son héros y croit à fond, à son histoire, Audiard lui, n’y croit pas du tout. C’est un choix. Tout cinéaste à de grandes obsessions, Audiard ne change pas en vieillissant.


Dheepan, le doux rêveur, n’était pas blanc bleu. Il a eut beau vouloir se mettre sous la protection d’un foyer, de Ganesh, divinité qui renverse les obstacles ; il se révèle être tigre, tamoul en dessous, et ne peut rien contre le retour du refoulé.
Et le rêve tourne au cauchemar. Il est temps de se réveiller Dheepan.


Toc toc toc! Qui c’est ? C’est le réveil qui sonne à tes oreilles. Il siffle comme des coups de feu tirés au hasard, alors que les mamans vont chercher les enfants à l’école. Le film dans le film, et non pas la réalité, qui va foutre tout son rêve en l’air. À plusieurs étages, comme un ascenseur, qui monte, et enfante un monstre froid, une machine à tuer. Dheepan se transforme en esprit frappeur. L’écran devient tout noir, le temps s’arrête. La musique…hypnotique…devient…grise…NOIR DE FUMÉE…


J’ai adoré cette partie un peu Taxi Driver revisitée. Complètement abstraite, à l’aveugle. Et ce happy end, inhabituel, ou inattendu, qui ressemble au début d’un nouveau rêve…

Angie_Eklespri
7
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le 30 mars 2016

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Angie_Eklespri

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