Comme je l'ai eu écrit à propos des "enfants du marais", Jean Becker est le cinéaste qui aime mettre en scène l'amitié et les braves gens. C'est d'ailleurs là qu'on peut trouver un intérêt au cinéma de Jean Becker qui va (souvent) provoquer la rencontre entre deux personnes a priori incompatibles. Tout le travail de Jean Becker sera d'imaginer le processus qui peut conduire à l'amitié ou a minima à trouver les quelques affinités susceptibles de faire naître une amitié.
Dans "la tête en friche", ce sera la rencontre entre une vieille dame cultivée (Gisèle Casadesus) avec un homme plus jeune mais très rustre (Depardieu). De cette rencontre improbable, naîtra une amitié basée sur un respect mutuel et une certaine idée de l'humanisme.
Dans "Dialogue avec mon jardinier", tirée d'un roman éponyme de Henri Cueco (que j'ai lu), on pourrait dire en première approche qu'il s'agit de confronter la ruralité à la vie citadine avec tous les poncifs et clichés qu'on peut imaginer (et qu'on trouve parfaitement développés dans le film !). Je pense que si on part dans cette direction, on passe à côté d'une partie du film. Et l'amitié entre les deux personnes n'a pratiquement aucune chance de s'établir (le citadin restera citadin et le péquenot restera péquenot). Au contraire, si on considère qu'il s'agit de la rencontre entre deux personnes qui se sont fréquentés et appréciés au temps lointain de l'école communale malgré leur différence de statut social familial (ouvrier vs pharmacien), leurs destins même très différents ne leur interdit plus de pouvoir se retrouver et de s'apprécier de nouveau. L'un est devenu un peintre parisien renommé et menant grand train (avec des soucis de riche). L'autre est devenu cheminot à la retraite, vit en HLM une vie étriquée entre le jardin ouvrier et deux voyages annuels devenus rituels. Le souvenir de leurs frasques et de la rouste qu'ils ont chacun reçu de la part de leurs parents suffit à créer d'abord une complicité puis un respect mutuel, prémices d'une amitié durable. Même s'ils ne se comprendront jamais sur des sujets "fondamentaux" comme la peinture "figurative" de l'un ou sur l'intérêt des voyages organisés par la SNCF de l'autre. Même si l'un n'est que le jardinier de l'autre.
Justement, c'est ce jardin qui sera l'élément déclencheur de l'amitié car l'un (le peintre parisien) veut reconstruire le jardin de sa mère en friche pour retrouver ses racines, message parfaitement compréhensible par le cheminot dont le rêve n'était que de devenir jardinier.
C'est Daniel Auteuil qui interprète le personnage du peintre, en homme abrupt dont l'aisance l'a habitué à être péremptoire voire cassant.
Au contraire, Jean-Pierre Darroussin dans le rôle du jardinier montre un caractère placide et tranquille comme si le temps n'avait pas de prise sur lui.
Le duo Auteuil / Darroussin fonctionne très bien et reste convaincant car les deux personnages présentent une complémentarité indispensable à la mise en place de ce "jardin secret" (matérialisé par le jardin) où ils s'affubleront de sobriquets (Dupinceau et Dujardin) et où personne d'autre ne sera autorisé à pénétrer.
C'est dans ce "jardin secret" que pourra prendre place cette amitié où les distances et différences de statut seront abolies et où chacun saura faire le pas indispensable vers l'autre.
D'un point de vue mise en scène, l'action se déroule dans les beaux paysages du Beaujolais. On n'en voudra donc pas à Jean Becker de ne pas avoir retenu le département de la Corrèze qui est celui du roman !