Le site est de retour en ligne. Cependant, nous effectuons encore des tests et il est possible que le site soit instable durant les prochaines heures. 🙏

Tâche ardue que celle du premier film, notamment quand ce dernier se retrouve immédiatement au panthéon de notre Thierry Frémaux national au sein d’une compétition officielle cannoise de laquelle ressort une tonne de noms prestigieux dont, celui de la dès lors intrigante Agathe Riedinger. Ce ne sera pas tant partie remise, malheureusement, le film étant sacrifié en tout début de festival et laissé tel quel à des journalistes sans pitié attendant peut-être plus d’un long-métrage concourant à la palme d’or. C’est du moins ce que j’ai ressenti durant la croisette avant de découvrir en avant-première ce Diamant Brut, un film un peu (beaucoup) délaissé par un jury déjà largement conquis par d’autres œuvres et une presse carrément tiède, parlant au mieux d’essai intéressant au pire de sous-Dardenne pas des plus inspiré (une comparaison que j’ai vu passer et que je vais contredire sous peu). C’est cependant en contrepartie une bonne surprise, d’aller voir une œuvre dont on attend rien et qui parvient à nous toucher, mais surtout à capter le fond de son thème, celui du showbiz, de la télé-réalité, du paraître mais surtout de l’attente, celle d’une jeune Liane, 19 ans, habitant chez sa mère à Fréjus, candidate à la sélection d’une télé-réalité, Miracle Island, pouvant lui offrir ses rêves d’attention. Après un casting, plus rien, si ce n’est l’espoir puis le désespoir d’être choisie, comme une heureuse élue d’un bled paumé, dont la jeune femme tente désespérément de cacher la misère pour un luxe factice.

.

.

.

.

.

C’est rare que cela m’arrive, mais la première chose à laquelle je pense en me remémorant mon avis sur Diamant Brut, c’est une réplique prononcée par la mère de Liane à sa fille, fière de montrer ses milliers de followers qui d’après elle, l’aiment ; ce à quoi la mère répond « C’est un talent maintenant d’être aimé ? ». Agathe Riedinger questionne à la fois la position du personnage de Liane, comme d’une jeune adulte accro et obnubilée par la célébrité, mais aussi ses spectateurs, nous qui nous prenons dans la tronche chaque jour cette culture du paraître dans une fausse proximité nous permettant d’accorder des « j’aime » à tout et n’importe quoi/qui. Surtout que c’est un long-métrage, quoiqu’on en dise, qui a su capter des problématiques extrêmement contemporaines pour se les réapproprier et apporter une réflexion et surtout un portrait d’une jeunesse de laissés pour compte se réfugiant dans la célébrité, les faux ongles et autres tendances tik tok ou conseils make-up sur Insta. D’une certaine manière, Liane est un peu une Barbie des temps modernes, accrochée à un idéal de vie et de beauté plastique qu’elle partage avec sa bande d’amis, tous semblant complètement déconnecté de leur vie de jeunes adultes et des problématiques sociales auxquels elles sont confrontés ; comme des mini-adultes. Pourtant cette façade, la réalisatrice ne fait que la filmer, et en tant que spectateur, on est par moment confrontés à la lente désillusion d’une star en devenir confronté à un milieu aride, sec et impitoyable qui recompose petit à petit cette frontière qu’a oublié Liane entre les réseaux sociaux et la vraie vie. Pour autant ce qui est extrêmement appréciable dans Diamant Brut, c’est que contrairement à ce qu’on pourrait penser quand on voit le pitch et le thème de la télé-réalité, la réalisatrice n’apporte pas le moindre mépris envers sa protagoniste, même dans ses moments de pure méchanceté ou de bêtise adolescente, elle n’oublie jamais que justement, Liane est une jeune adulte. Plus que ça, c’est une victime d’une société de consommation ayant ingurgité et digéré des codes toxiques qu’elle ressert dans son contenu et son comportement ; ce qui lui permettrait d’ainsi, de son point de vue, de devenir une vraie « femme du monde », puissante, désirable et importante. C’est un choix de point de vue dès lors assez inattendu mais aussi extrêmement sensé, il apporte une vraie joliesse et tendresse à ce film qui regarde ces jeunes femmes avec une dignité que se permettent bien de bafouer les manitous de chaînes et autres émissions dont la metteuse en scène apporte le regard opposé. Froids et sans incarnations, ces personnalités sont complètement détachés de la situation malgré la douce voix d’une directrice de casting dont on ne verra jamais le visage, comme si le rêve de Liane était définitivement infranchissable, trop beau et trop grand pour elle et pour être vrai.

.

Plutôt que de tomber dans le misérabilisme, ce regard tendre et vigoureux envers cette jeune adulte est alors complètement salvateur, et cette note d’intention donne ses lettres de grâce à un premier long-métrage qui a parfaitement compris ce qu’il y avait de prenant, tragique, nostalgique et aussi politique à filmer des laissés pour comptes et autres marginaux à la manière de Sean Baker (notamment dans Tangerine) et surtout Andrea Arnold. Comme elle, Agathe Riedinger apporte un format carré, qui pour la citer, magnifie l’image, la rend cinématographique, et derrière ce tic un peu arty, le résultat est que la laideur de ces quartiers du sud de la France, la pauvreté inhérente et autres longues déambulations de son personnage près d’une nature desséchée et bétonnée prennent une puissance et importance foudroyante. Du simple regard empathique envers une jeune femme désœuvrée, Agathe Riedinger va plus loin et constitue avec son film le brutal portrait d’une génération perdue oscillant entre une violente combativité des déterminismes sociaux et un but inatteignable mais pour lequel Liane est prête à tout. Justement parlons plus en profondeur d’elle, et de son interprète, la révélation Malou Khebizi est ce qu’on peut appeler une pure gueule de cinéma. Déjà car elle capte à merveille son personnage, elle s’immisce dans un quotidien et une personnalité qui semble avoir été calquée sur son vécu, mais surtout car elle ose. Elle ose être flamboyante, violente, impressionnante, elle ne fait pas qu’embrasser les caractéristiques de Liane, elle les dépasse, et on croit à mille pourcents en sa détermination insatiable et sa patience de plus en plus mise à bout. Ce n’est cependant pas une simple performance d’actrice visant le césar qui m’a personnellement abasourdi, mais la manière dont cette jeune actrice, comme le reste des comédiennes et comédiens parviennent à délivrer un texte avec une rare justesse, notamment en terme d’authenticité. Si comme j’y reviendrai, la mise en scène peut parfois en faire des tonnes, les comédiens parviennent au contraire à tous trouver le juste milieu et à crédibiliser chaque ligne de dialogue, action ou geste, sans ne jamais tomber dans le cliché, mais en parvenant à offrir une sincérité brutale à leur interprétation, ce qui est d’autant plus fort lors de scènes où l’amitié intime entre Liane et Dino se noue, que lors de scènes de dispute, de bêtises, de moquerie ou de détresse ; créant de vraies montagnes russes émotionnelle à la fois tragiques et imprévisibles.

.

.

.

.

.


Si Diamant Brut est un film étonnement extrêmement bien construit et pensé, teinté d’une furieuse mélancolie, sa mise en scène capte elle aussi ce sentiment de fougue et de tragique qu’arrive à maintenir la réalisatrice dans un dispositif qui aurait pourtant très vite pu tomber dans certains poncifs. Comme dit plus haut de nombreux spectateurs ont vite fait comparé le premier film d’Agathe Riedinger à un sous-Dardenne, metteurs en scène belges bien connus pour aborder frontalement des sujets de société dans une mise en scène naturaliste et sans grandes fioritures ; pour que ça fasse « vrai ». Je ne sais pas si c’est dû à une culture limitée de certains spectateurs, mais je trouve que Diamant Brut s’émancipe au contraire totalement de ce type de cinéma pour au contraire aller plus chercher du côté d’Andrea Arnold mais aussi d’autres metteurs en scène comme Xavier Dolan ou même Mounia Meddour qui avec Papicha, sur un sujet de société brûlan, place un écrin de cinéma tantôt subtil, tantôt fracassant, et surtout en accord avec la jeunesse filmée. Difficile de ne pas y inclure ainsi Diamant Brut, qui cherche à avant tout nous immerger dans le quotidien de Liane, mais surtout son état d’esprit. Sans pour autant avoir accès à un dispositif ultra sophistiqué, certes, la réalisatrice parvient malgré tout à créer une atmosphère aride, mélancolique, à donner encore un peu d’ampleur au tragique, romanesque et même certaines discordances que revêt le parcours de Liane. Alors tout n’est pas parfait, et on sent parfois l’instabilité et le manque de demi-mesure qui incombe à de nombreux premiers films ; mais c’est peut-être un des meilleurs défauts qui soit, car il montre toute la passion d’Agathe Riedinger pour son récit, et son désir de mettre en lumière son sujet et différentes femmes au parcours similaire à Liane. En tant que critique je me dois cependant d’émettre de petites objections sur certains points, et il y a un rapport avec le didactisme créé, qui à de trop nombreux moments alourdit le long-métrage, bien qu’il permette aussi de clarifier le point de vue de sa réalisatrice, mais aussi la réalité derrière le divertissement et paraître made in instagram. On est cependant face à un résultat, je trouve, bien moins problématique que sur How to have sex, sortit l’an dernier, et qui perdait cette fougue pour un résultat au final plus plat qu’escompté. En revanche ici, cette limite narrative, dans un scénario qui a tendance à y aller étape par étape, finit par peut-être trop diluer cette attente insoutenable, jusqu’à en impacter même le spectateur, ou du moins ma personne ; ressentant plus que jamais la perte de patience de Liane, mais souhaitant d’un autre côté voir Agathe Riedinger aller plus frontalement vers cette mystérieuse télé-réalité dénommée Miracle Island ; qu’on imagine n’être qu’un énième Secret Story au gré de plusieurs scènes où Liane regarde envieuse dans sa chambre ce qu’elle voit comme sa porte d’entrée vers la gloire.

.

Cependant en prenant le film comme il est, mon principal reproche sera peut-être surtout la manière qu’à la réalisatrice de parfois vraiment trop surligner plusieurs scènes, leur enlevant une grande part de subtilité, bien que cette dernière serve la mélancolie de plus en plus forte dans laquelle est éprise Liane. Il y a en tout cas un entre deux un peu bâtard dans lequel tombe la réalisatrice, mais qui n’est qu’un détail tant sa maîtrise reste formellement très juste, se plaçant par moments dans la droite lignée d’un Dolan. Car si par moments le trop plein de Diamant Brut peut paraître agaçant, ces tentatives sont généralement plus que salutaires et offrent à ce premier long une vraie personnalité. Notamment dans sa description d’une beauté artificielle ou de la violence des réseaux sociaux, alimentant une haine de soi et la jalousie de l’autre, Agathe Riedinger n’hésite pas à y aller franc du collier, notamment en plaquant sur l’écran des messages d’amour ou d’animosité reçus sur le compte de la jeune Liane, ou encore au gré de plusieurs plans à la composition méticuleuse et soignée, parfois presque oniriques, où la mise en scène capte brute de pomme cette hyper sophistication de nos sociétés à un niveau presque absurde ; que ça soit dans une boîte de nuit se rapprochant presque du fantasme jusqu’à certaines scènes sur un parking, en particulier la première, à l’imagerie frappante et follement cinégénique. Il pourrait n’y avoir pas besoin de plus mais étonnement, la musique bien que parfois invasive accompagne aussi merveilleusement le personnage et la gravité de certaines scènes ; jouant justement sur le grave de ces instruments à corde pour créer un sentiment de violence, presque de prédation autour de ce personnage prêt à tout pour la popularité et que la metteuse en scène illumine par sa caméra.

.

.

.

.

.

Diamant Brut n’est pas ce qu’on peut appeler un film parfait, en revanche, pour un premier long, il s’agit d’un véritable coup de cœur avec une poigne émotionnelle rare et surtout un traitement de son sujet à la fois tendre et cruel, mais surtout teinté d’une vraie connaissance et amour pour les personnages que la réalisatrice filme. Bien que l’envie d’en faire trop puisse parfois dépasser son projet, Agathe Reidinger reste une réalisatrice à suivre de très près, car le regard qu’elle porte sur ceux qu’elle film impacte et inspire et mieux sa mise en scène et son écriture, d’une grande rigueur formelle et de fond ; donnant en plus la place à des comédiens extraordinaires de coexister pour donner un autre regard sur les laissés-pour-compte et autres jeunes de la génération Z.

Créée

le 21 nov. 2024

Critique lue 317 fois

7 j'aime

Vacherin Prod

Écrit par

Critique lue 317 fois

7

D'autres avis sur Diamant brut

Diamant brut
mymp
6

Portrait de la jeune fille qui en veut

Son rêve, à Liane ? Son rêve, c’est Miracle Island, et rien d’autre, et dont elle vient de passer le casting pour la prochaine saison. Son monde ? C’est celui des faux ongles et des faux cils, des...

Par

le 20 nov. 2024

11 j'aime

Diamant brut
Azur-Uno
7

Mirages de la télé-réalité

En sélection officielle au festival de Cannes 2024, Diamant Brut est le premier long-métrage de la réalisatrice Agathe Riedinger, prolongeant les aventures de Liane avec la télé-réalité déjà évoquées...

le 25 nov. 2024

7 j'aime

7

Diamant brut
VacherinProd
7

How to have love

Tâche ardue que celle du premier film, notamment quand ce dernier se retrouve immédiatement au panthéon de notre Thierry Frémaux national au sein d’une compétition officielle cannoise de laquelle...

le 21 nov. 2024

7 j'aime

Du même critique

Moi capitaine
VacherinProd
7

De l'autre côté de la méditerranée

Reparti applaudi du dernier festival de Venise, le grand Matteo Garrone est de retour sur un tout aussi grand écran. Auteur de films aussi rudes que poétiques, des mélanges des deux parfois pour ne...

le 4 janv. 2024

30 j'aime

Longlegs
VacherinProd
7

Le diable est juste là

C’est une petite habitude désormais sur ce compte, se lamenter des sorties horrifiques récentes, qui seraient sur un plan esthétique mais aussi comparatif des années passées, de moins grande qualité...

le 11 juil. 2024

29 j'aime

2

La Bête
VacherinProd
10

It's only Her end of the love

J’avais exprimé avec Conann l’année dernière, à quel point il peut être ardu de parler en bon et dû forme d’un long-métrage qui m’a autant marqué au fer rouge. D’autant plus pour un metteur en scène...

le 7 févr. 2024

22 j'aime

13