« Le mec m’a rit au nez quand je lui ai dit que je faisais des études d’histoire. »

TW - agression sexuelle, insultes, sexisme (et spoil à balles)


Petronya est une jeune femme de 32 ans, elle cherche du travail après avoir étudié l’histoire.


Elle va donc à un entretien qui se déroule extrêmement mal. Après son entretien, elle déclare à sa mère et son père pour ne pas les inquiéter : « le mec m’a rit au nez quand je lui ai dit que je faisais des études d’histoire. » Bien sûr elle ne parle pas de l’agression sexuelle durant l’entretien, de la façon humiliante dont elle a été traité : soit disant trop vieille, moche et sans apparente qualification pour le travail de comptabilité. (On aurait toutes et tous bien voulu voir le curriculum vitae de monsieur l’employeur arriviste misogyne)


Mais elle a remporté une chose, la croix de la fête qui se déroule en macédoine du nord lors de l’épiphanie : défier les hommes d’église à leur propre jeu en s’y incrustant. Ce geste anodin est symbolique à plusieurs titres puisqu’il remet en question les règles de l’église, le pouvoir des hommes et casse les codes de genre attribués initialement.


L’Église est un territoire ennemi bien connu comme étant un espace « boys club » où il est difficile de faire sa place. Malgré cela, elle se jette stratégiquement, à corps perdu dans l’eau et montre la croix entre ses mains, fière. On lit dans ces yeux une victoire pour toustes. Tous les hommes cisgenres se ruent sur elle pour lui ôter - ils n’y arriveront pas si facilement - et le prête orthodoxe répète au moins 5 fois de rendre la croix, ce que les hommes ne feront jamais alors elle s’en empare, alors qu’ils croient avoir gagné la partie. Le jeu ne fait que commencer.


Le commandant qui s’occupe de l’affaire, appelé par l’Église, déclare à la journaliste sur place que conformément à la loi, ils vont chercher la jeune fille et rendre la croix à l’Église, censée porter bonheur et prospérité. Les traditions dit le prête ne doivent pas changer à tout prix. La journaliste y voit des propos réactionnaires et leur suggère d’évoluer. Un des hommes tente de l’amadouer en invoquant que l’affaire n’est pas si grave, qu’il n’y a pas mort d’hommes (juste exclusion de la moitié de l’humanité, bah voyons, ce n’est rien !) et bien sûr il invoque la « folie » de cette dernière alors que les hystériques étaient plutôt les hommes qui auraient pu la noyer pour avoir leur fichue bout de bois croisé.


La télévision en parle, le scandal éclate. Une amie lui rend visite et la soutient. Petronya est déterminée à garder cette croix. « Allez tous vous faire foutre connards. » (Je plussoie) La mère la traite en revanche de monstre parce qu’elle a découvert la vidéo où on voit sa fille, sa réaction est connectée avec la réputation de la famille. Le père est plus compréhensif. (Original quand on sait que la réputation est l’apanage des hommes, même si d’une certaine façon, Petronya nuit à sa réputation de femmes en transgressant les règles de l’assignation féminine.


Arrêtée par la police, elle demande à sortir car ils n’ont pas le droit de la garder en garde à vue. Le patriarcat dans toute sa splendeur. (Les règles sont les règles. Celles qu’on a envie d’appliquer en tout cas en tant que représentant de l’ordre, et l’ordre voyez-vous, c’est longer les trottoirs le soir et ne pas trop l’ouvrir mais continuer à sourire.)


Alors qu’elle est libérée, un groupe d’hommes l’attend pour l’insulter (parce que le vol méritait la lapidation à l’époque vous comprenez, donc elle l’a cherché et mériterait le même sort) et lui faire peur afin qu’elle rendent la croix. (Comportement toxique classique d’intimidation, hélas qui ne marche pas plus que la pseudo manipulation de régler « à l'amiable » « l’irrégularité » de la situation en lui criant dessus et la menaçant de lui casser les os.)


Lorsque la journaliste interview les parents, les conclusions sont qu’elle a agit ainsi parce qu’elle ne trouvait pas de travail. Selon moi, c’est son silence envers son vécu de femme singulier globalement qu’elle a voulu fuir par cet acte de bravoure satisfaisant. Les étudiant.es sont de plus en plus diplômé.es et pourtant de plus en plus précaires, les femmes plus que les hommes accèdent aux hautes strates de la société, sans compter les propos et agressions sexistes quotidiennes.


Bref, libérée mais pas délivrée, encerclée par des mascus en chaleur, elle rentre dans le commissariat. L’alliance entre le jeune policier compréhensif et Petronya rend la vision du film moins manichéenne. Un autre policier exploite sa confiance pour s’emparer de la croix et la mettre sous verrous. Enfermée à côté du mec qui lui a volé la croix (pour le coup lui il a vraiment volé) la traite de tous les noms qu’on connait déjà, les insultes classiques des masses frustrés, et le policier lui dit « on se calme » alors qu’il mériterait une amende. Il lui crache dessus et commence à la violenter. (Alors monsieur le policier, vous pensez encore que « on se calme » ça suffit à étancher la soif de haine envers les femmes ?)


La mère représente à mon sens le déni des femmes envers les oppressions qu'elles subissent et l'acceptation aveugle des règles patriarcales sous peine de vivre une p'tite vie tranquille, morne, monotone, dévouée à la maladie viriliste des hommes, qui se condamnent eux-mêmes à vivre dans la domination de leur alter ego. Au fond, la seule différence entre la condition de la classe "femme" et de la classe "homme", c'est d'être dans la même cage dorée de la binarité obligatoire sauf que les hommes eux ont la clef pour s'y échapper alors que nous, on doit leur dérober la clef selon les règles qu'ils ont à proprement parlé, écrites.


J'ajoute que la raison qui la pousse à rendre la croix à la fin est un peu utopique, l'explication. Il aurait paru plus probable qu'elle la rende parce que justement elle ne pouvait porter le poids plus longtemps des rumeurs et des insultes à répétition qu'on qualifierait aujourd'hui de harcèlement. On peut alors supposer à une allégorie de flambeau, une idée de transmission de ce pouvoir qu'est le bonheur incarné par la croix pour les femmes et les minorités à l'avenir.


Finir sur un plan avec une biche dans la neige, c'était parfait vraiment bien. Faites toustes ça dans les films, mettez plus de bambis dans nos vies.

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le 5 sept. 2021

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