Prolongement du moyen métrage Versailles – Rive gauche et version cinéma de la mini-série Dieu seul me voit (Versailles-Chantiers) qualifiée de version interminable (6 heures), mais qui mérite certainement l’exploration, ce film (2 heures) est à déguster.
L’essentiel se passe à Versailles, ville mondialement connue pour le fameux château de Louis XIV, haut lieu du tourisme en France. Dans cette ville bourgeoise, les premiers plans nous montrent Albert Jeanjean (Denis Podalydès), à pied, en imperméable et un cartable à la main, incapable d’indiquer clairement son chemin à une passante. Ceci dit, dans son intérieur, on le sent beaucoup plus à l’aise, notamment parce qu’il manipule un fleuret pour pointer des objets voire en attraper (des vêtements par exemple). Dans cet intérieur, sans surprise on remarque un modèle réduit de la fusée lunaire tout droit sortie de la BD Objectif Lune et discret écho à l’intérieur d’Arnaud (déjà Denis Podalydès) dans Versailles Rive Gauche qui comportait aussi de nombreux objets évoquant l’univers de Tintin.
Albert est du genre éternel célibataire qui désespère un peu, vu que son front se dégarnit nettement, ce qu’il voit comme un handicap dans son potentiel séduction, alors qu’il fait feu de tout bois. Heureusement, Dieu seul le voit, ce qui mérite quelques commentaires. Albert aurait-il honte ? Non, pas spécialement. Serait-il croyant ? Rien ne le laisse supposer, puisqu’il n’est jamais question de religion dans le film. Par contre, le titre nous place nous spectateurs (spectatrices), dans une position particulière : au même niveau que Dieu. Par contre, nous n’avons aucun pouvoir, si ce n’est celui d’arrêter le film ou bien de le revoir. Quand même, nous pouvons également le commenter et émettre des avis. Finalement, avec ce titre les frères Podalydès élèvent la cinéphilie au rang de religion.
Ceci dit, la vie d’Albert est assez remplie par ses relations avec des ami.e.s ou cop.ain.ines qui doivent toutes et tous dater plus ou moins du lycée. Parmi eux, l’intenable François (Michel Vuillermoz) ainsi qu’Otto (Jean-Noël Brouté) avec qui Albert part interviewer des maires à l’autre bout de la France. C’est ainsi que le duo arrive à Toulouse. Les circonstances les amènent à donner leur sang et à rencontrer la charmante Sophie (Isabelle Candelier), infirmière au caractère très enjoué et qui a visiblement beaucoup de copains. De fil en aiguille, voilà Albert dans une soirée où Sophie est entourée d’un beau groupe de ces copains.
Après le repas, animé (c’est là que l’un d’eux demande le prénom de monsieur et madame Fonfec), le groupe se retrouve devant la télé pour regarder le match Celtic Glasgow – PSG, match retour d’un 8è de finale de la coupe des coupes 1995-96, qui verra les parisiens marquer 3 fois (2 buts de Loko et 1 de Pascal Nouma). Sophie propose de jouer à baiser-but (Belzébuth). Enthousiasme général, car la règle veut que Sophie donne un baiser (un vrai) au participant associé au joueur qui vient de marquer. Visiblement, Sophie regarde le foot avant tout pour s’amuser et Albert n’y connaît rien. Ceci dit, il se trouve associé à Pascal Nouma. La nuit promet d’être longue…
Ce film est une pure fantaisie signé Bruno Podalydès qui s’amuse encore une fois à mettre en scène son frère Denis dans un rôle de célibataire lunaire mais opportuniste vis-à-vis des femmes. Son expérience lui dit que pour lui, ce n’est jamais gagné quand une femme lui plait. De ce fait, toute femme qui lui manifeste un certain intérêt devient à ses yeux l’objectif numéro 1. Même si on ne le voit jamais en compagnie d’un laideron, finalement Albert choisit juste de profiter des occasions qui se présentent. Il ne se fixe jamais sur une femme qui lui plairait et qu’il aurait envie de conquérir. D’ailleurs, il ne ferme même pas la porte à Anna (Jeanne Balibar), que François lui présente carrément comme dangereuse. Il a même du mal à réaliser que sa chance est là, qu’il n’a qu’à tendre non la main, mais les lèvres (oui, oui). Il vivra le même genre de situation avec Corinne (Cécile Bouillot) rencontrée dans des conditions rocambolesques et qui va lui faire vivre une nuit de folie. Bruno met donc son frère Denis (par l’intermédiaire du rôle d’Albert) dans des situations qui tiennent surtout du fantasme. En effet, Sophie lui laisse son numéro de téléphone sans qu’il ait rien demandé. D’ailleurs, quand il l’appelle, il se demander quoi penser de ce qu’il entend. De même Corinne et Anna lui tombent dans les bras sans qu’il ait à s’employer.
Bien entendu, tout cela est trop beau, trop facile et… ce qui devait arriver arrive à la manifestation devant le château de Versailles quand ces trois femmes y sont présentes en même temps qu’Albert !
Dans cette pure fantaisie, en tintinophile passionné, Bruno Podalydès intègre une séquence de restaurant qui ravira les amateurs. Elle débute avec Albert et Anna devant le Klow où la devanture sort tout droit de l’album Le sceptre d’Ottokar. Mais c’est tellement fugitif qu’on a juste le temps de réaliser qu’on connaît cette image. Par contre, l’œil aux aguets, on observe les convives commander. La carte permet de poursuivre le fantasme et Albert ne manque pas de commander des slazeks à un serveur dont le look fait pousser un énorme soupir de satisfaction. Oui, c’est un bedonnant au crâne lisse et à la belle moustache qui porte un gilet à carreaux bleus et jaunes. Le réalisateur pousse son goût du détail juste avec le torchon blanc que le serveur porte sur son avant-bras. On peut même supposer que si Albert ne se souvient pas de ce qu’il a commandé quand on vient les servir, c’est bien-sûr parce que le plat n’existe que dans l’imagination d’Hergé et de ses innombrables fans. En effet, dans la BD, la scène est située en Syldavie, pays imaginaire.
Ajoutons quand même que dans ce restaurant, Albert est pris de vomissements à cause de cette nourriture qu’il découvre et finalement ne supporte pas, vomissements bientôt interprétés comme une flatterie par Anna (voir le film pour comprendre). L’intérêt de cette séquence, c’est que les ignares en BD (ça existe) n’y verront que du feu et se régaleront malgré tout.
Bref, Bruno Podalydès met en scène de façon jubilatoire (situations, dialogues, lieux, personnages incongrus, etc.) les tribulations d’Albert, aussi bien à Versailles (ses grandes avenues et rues qui se croisent à angles droits, ainsi que ses vastes espaces et ses gares), qu’à travers la France (voir ses déboires avec quelques maires) et surtout avec les femmes qu’il croise. Bien que maladroit et quelque peu complexé, tout est possible pour Albert.
*Sophie