Dans son dernier film, comme toujours, Tony Gatlif s’intéresse à la musique des déshérités, ceux qui ont tout perdu et qui chantent pour oublier de pleurer.
A propos du Rebetiko, ce blues mi turc, mi grec, Gatlif déclare :
Il n’y a jamais de colère dans cette musique, plutôt de la révolte
et de la mélancolie comme dans toutes les musiques que j’aime. C’est
une musique de mal aimés, mais de gens fiers d’être ce qu’ils sont.
Une musique subversive. Dans le Rebetiko, les chants ont des paroles
qui guérissent.
Comme souvent, la plupart des compositions et des paroles des chansons sont de Gatlif lui-même et c’est Daphné Patakia, sa talentueuse et lumineuse interprète principale qui chante elle-même les chansons, tout comme elle danse et joue du bouzouki.
La réussite du film lui doit d’ailleurs beaucoup, tant elle irradie la pellicule de sa beauté et de sa fraîcheur.
Maryne Cayon, en française banlieusarde boudeuse et sombre, lui tient la réplique en contrepoint et elles forment toutes deux un duo attachant dans un Road Movie féminin, aux abords de la frontière entre la Grèce et la Turquie, où les autochtones subissent la crise économique et où les migrants affluent en masse pour fuir la misère et la guerre.
Des migrants, on ne verra que des traces, quelques graffitis sur les murs, ou des tas de gilets de sauvetage abandonnés au bord du rivage, mais pas de reconstitution de foules passant les frontières.
Néanmoins, le film de Gatlif, même s’il traite d’un sujet grave, n’est pas triste ou mélancolique et ne cède pas à un pathos facile. En fait, il est du coté des exclus et des sans grades, mais qui gardent la tête haute et trouvent leur réconfort dans la musique.
Cette dignité est personnifiée par le personnage de l’oncle de Djam, Kakourgos, joué avec justesse et charisme par Simon Abkarian. Dans la scène où des huissiers viennent saisir ses biens, chez lui et quand sa belle fille lui demande ce qu’ils peuvent faire, il répond "rien, juste les regarder", droit dans les yeux, sans baisser la tête. Etre pauvre, devoir migrer pour vivre n’est pas honteux., surtout quand on peut s’exprimer avec sa musique et qu’on reste libre.
Djam est un beau film sensible et énergique, poignant par moments et parfois drôle. On peut déplorer quelques longueurs et baisses de rythme, mais l’ensemble est vivifiant . Le personnage d’Avril, la jeune banlieusarde est sans doute un peu trop en retrait par rapport à celui de Djam, la belle rebelle, mais il existe. Avec son caractère renfrogné, un peu buté, jouant le rôle du boulet au début, elle s’épanouira au fil du temps et saura se rendre utile et retrouver le sourire. Cette déambulation entre Grèce et Turquie sera un véritable voyage initiatique pour elle.
Un dernier mot sur la nudité des actrices. On voit les deux actrices nues, surtout Daphné Patakia, mais le regard de Tony Gatlif est bienveillant et en aucun cas racoleur ou libidineux. C’est pour exprimer la liberté du personnage de Djam, celle qui n’a pas peur de se mettre (à) nue et d’en rire, brisant ainsi le tabou de la bienséance qui veut que l’on cache ce sein qu’on ne saurait voir. La nudité de Djam, est plus dû à un esprit d’enfance préservé, plutôt qu’à un désir de séduire ou de provoquer.
Au final, je conseille d'aller voir ce film rafraichissant qui fait aussi réfléchir sur un sujet grave et d'actualité, sauf si vous n'aimez pas les migrants, les grecs, les turcs, les musiciens, les pauvres, les jeunes filles délurées qui font pipi sur la tombe de leurs ancêtres, les jeunes filles de banlieue qui tirent la gueule et qui se font cirer les pompes alors qu'elles n'ont pas de sous, les moustachus qui changent la bielle de leur bateau, alors qu'ils feraient mieux d'aller bosser à l'usine, etc ... (oui, je vais m'arrêter là, sinon, aucune personne à qui je conseille d'aller voir le film ne va y aller).