Django Unchained par Teklow13
Au début du film, Schültz et Django pénètrent dans un saloon pour se désaltérer.
Christopher Waltz passe derrière le comptoir et sert deux pressions. Comme un professionnel, il laisse un peu déborder la mousse de la choppe mais coupe immédiatement le surplus avec un couteau. Ce geste à priori anodin est filmé en gros plan et à deux reprises. D’une certaine manière il résume toute la démarche de Tarantino sur ce dernier film. Canaliser la pression, laisser quelques bulles sortir mais éviter les débordements.
Jusqu’à présent, à l’exception peut être de Jackie Brown, Tarantino laissait la mousse sortir. Il concevait les séquences clés de ses films comme des actes de jouissance, comme des orgasmes de mise en scène. Peu importe l’effet entrainé, la complaisance ressentie où non, la manipulation, Tarantino construisait selon un mécanisme d’attente, d’excitation et de jaillissement. Que le système passe par le visuel ou la parole. Le cinéaste prenant le soin parfois de laisser le jaillissement en hors champ engendrant une frustration ou au contraire une terreur décuplée. Exemple de la caméra qui se détourne lorsque M. Blonde découpe l’oreille du flic après toute sa scène de séduction dans Reservoir Dogs ou de la porte qui se referme et empêche la vision de Marcellus Wallace se faisant violer dans Pulp Fiction. Et lorsqu’il montre le jaillissement, il joue sur un régime d’images : les coups de sabres de la mariée dans Kill Bill, le crash de Death Proof ou l’acharnement d’Eli Roth sur le nazi à coups de batte de baseball. On est là à chaque fois dans un geste de débordement, de jaillissement de violence.
Si violence il y a, et là encore en hors champ (ça concerne les 2 scènes les plus terribles du film) ou frontale, si le mécanisme semble identique au niveau de la construction (la violence fait souvent irruption brutalement et brièvement après un long flot de parole), l’effet engendré n’est plus du tout le même. Lorsque il laisse en hors champ l’horrible combat de deux esclaves dans un salon mondain, dans une atmosphère sadienne, il laisse malgré tout échapper quelques plans, brefs, comme des bulles qui éclatent mais au goût très amer. Ce combat absurde que Tarantino se refuse à montrer tant il apparaît abjecte, on l’imagine à travers les yeux d’un DiCaprio qui lui aussi regarde sans vraiment voir. Un regard vide, sans affect sur une atrocité. Même chose lorsque Tarantino filme ou ne filme pas un pauvre esclave se faire déchiqueter par des chiens.
Idem lorsqu’il montre cette violence : de façon sèche et presque douce (et donc d’autant plus dure) lorsque Django assassine un père devant son fils. Ou, au contraire, de façon amplifiée, graphique et burlesque. Dans chacun de ces cas Tarantino tord le cou à la jouissance.
La violence de Django n’a plus rien de fun, elle est âpre, amère, écœurante. Cette appréhension de la violence serait un mélange entre la noirceur teintée d’ironie d’un Corbucci et la mélancolie d’un Pechinpah. Et s’il ne s’empêche pas d’y mettre de l’humour, du grotesque et du second degré, le résultat visé lui est noir et jamais libérateur.
C’est aussi la question que soulève ce Django, l’opposition entre ce que l’on cloisonne ou que l’on enchaine et ce que l’on libère. On en revient à la choppe de bière.
Pour la seconde fois après Inglourious Basterds, Tarantino traite un grand sujet et propose une relecture de l’histoire à travers son cinéma et le cinéma en général.
Si Inglourious Basterds aborde la libération de la France occupée par les nazis, Django parle de la libération des esclaves et revient sur la cause des noirs.
Le film devient passionnant car flottant à ce niveau-là. Le rapport entre la liberté et l’enferment est trouble, en suspens.
Finalement dans la mise en espace de son film, Tarantino laisse peu de place aux extérieurs, au grand air. Etonnant de la part d’un cinéaste qui rêve le western et d’en filmer un depuis toujours.
Les plans extérieurs sont comme les bulles qui échappent à la choppe, tout le reste est contenu.
Et même lorsque l’on est en extérieur, on est dans l’illusion de l’échappée, car les personnages sont en fait cernés par la nuit, la neige, les rochers,…
Le film se passe surtout dans des lieux clos, étouffants et surchargés (la demeure de DiCaprio en premier exemple). Des lieux qui visent à enfermer les personnages, physiquement mais aussi moralement et sociologiquement. Est-ce que réellement les personnages évoluent et sortent de leur propre cloisonnement ? On pourrait l’imaginer lorsque l’on suit Schültz, personnage complexe admirablement joué par Waltz et qui pourtant, alors que l’on soupçonnerait sa libération, refermera lui-même le bocal dans lequel il s’est enfermé.
Même question pour Django. Django déchaîné nous dit le titre mais Django a-t-il réellement brisé ses chaines ? Cette question reste en suspens lorsqu’il s’enfonce dans le plan et dans la nuit à la fin du film. Tarantino jonglant une ultime fois entre le destin particulier, celui de son héros, et celui d’un collectif qu’il synthétise et représente.
Mais si Django est enchaîné, il ne l’est pas seulement au niveau de sa condition sociale ni à travers le système de violence dans laquelle il s’enfonce. Django est enchaîné à Broomhilda. C’est ce lien qui l’anime, le maintien en vie et lui donne un but. Ce lien d’amour, pur, innocent, est émouvant car montré dans sa nudité. Si Tarantino peut jouer énormément avec le second degré lorsqu’il filme des figures, des pantins, il filme toujours l’amour d’une façon sincère et touchante car presque maladroite. C’est le cas des apparitions que croise Django sur sa route ou des flashs back qui percent au montage.
The Bride, Bill, Maw Cherry dans Jackie Brown, Django, Vincent Vega, tous sont animés, ponctuellement ou durablement, par un sentiment d’amour. Mais toute la coolitude qu’ils peuvent dégager par ailleurs, il l’a perde et sont comme démunis devant un sentiment qu’il maitrise beaucoup moins. Ils sont empruntés, maladroits et donc émouvants. Savent-ils vraiment aimer ?
Mais pour la première fois, ici c’est bien l’amour qui guide la quête du héro, c’est la libération de Broomhilde comme dans les Nibelungen. Tout ce qui est à côté n’existe plus, Django ferme les yeux sur les abords et élimine ce qui lui bouche le chemin qui le mène à son but.
Enfin cette question de libération/cloisonnement se pose au niveau de Tarantino au milieu de tout ça. Django est vraiment dans un entre-deux mal défini. Il est tout autant une libération, Tarantino semble briser à de nombreuses reprise son cinéma : en se permettant des choses, en osant le premier degré, en jouant sur une succession d’opposition de tons qui peuvent, plus encore que dans ses autres films, déconcerter et provoquer une certaine admiration tant l’assemblage paraît impossible. Tarantino a toujours été un grand colleur (et non pas racoleur), assembleur, mais ici il le fait de façon moins rock’n roll, plus posée, moins foutraque. Juxtaposition d’une petite et grande histoire, du burlesque outrancier et d’une pureté non voilée, du western et du film de blacksploitation,…
Mais le cloisonnement est également questionné : pour la quatrième fois d’affilée, il construit un film autour d’un sentiment de vengeance. Pourtant ici, si vengeance il y a, ce n’est pas le moteur du film, et c’est clairement affichée dès le début, le moteur, le vrai, c’est l’amour.
Je suis très curieux, à ce niveau, de voir vers où se dirigent Django, Bromhilda et Tarantino lorsque tous les trois s’enfoncent dans l’obscurité du plan.