Docteur Folamour (prononcez Strangelove en VO) est mon Kubrick favori. Pas celui devant lequel j'ai ressenti le plus d'émotions ou même d'admiration plastique, mais certainement celui qui m'a le plus fasciné (au même niveau que 2001) tant la forme et le fond sont d'une intelligence et d'une profondeur rare. Peu mentionné au côté de mastodontes tels que 2001, Shining ou Orange Mécanique, il n'a pourtant absolument rien à leur envier.
Nous sommes en 1963, les Etats-Unis viennent de sortir de la crise des missiles de Cuba, l'un des tournant de la guerre froide, qui aurait pu mener directement à la guerre nucléaire, et à l'anéantissement de la Terre (excusez mon dramatisme, je me suis replongé dans Doctor Who). C'est alors qu'un jeune cinéaste, plein de talents et aux premier films plus que prometteurs décide de se lancer dans le traitement de cette actualité encore brûlante, pour en faire une satire absolument délirante, d'un réalisme fou, il ne va s'interdire aucun tabou.
Il y a deux manières d'aborder un sujet comme celui là, à cette époque. Premièrement, on peut en faire un thriller palpitant, et très sombre, comme l'est Point Limite. Ou alors en faire une comédie satirique. Et c'est là qu'intervient le Docteur Folamour de Kubrick. Celui-ci, va pousser la satire dans des extrêmes impressionnants, tant et si bien que je me demande comment je l'aurais vécu si j'avais vu le film à l'époque... Probablement très mal. Je demanderai ça au Doctor (je vous ai dis que j'étais reparti dans Doctor Who ?).
Dès le début de son film, Kubrick nous démontre toute sa provocation. Deux avions, l'un ravitaillant l'autre. Un cordon entre les deux, l'un au dessus de l'autre, une musique légère et nous voilà devant une des scènes de sexe les plus ahurissantes de l'histoire du 7e art. Une manière comme une autre de contourner la censure du code Hays, comme l'avait fait en son temps Hitchcock. Mais si, vous savez ce train qui pénètre dans un tunnel à la fin de La Mort aux Trousses ! En tout cas, avec cette scène d'ouverture, pourtant anodine au premier abord, Kubrick nous informe qu'il a décidé de n'écarter aucun tabou. Et de les traiter de manière totalement décalée.
Et tout le film va nous confirmer ce sens enchaînant les situations et les réplique aussi hilarantes les unes que les autres (dois je réellement mentionner le "Gentlemen, you can't fight in here ! This is the War Room !). Avec un Peter Sellers, s'il fallait le souligner, au sommet. Il est tellement drôle à travers tous ces personnages, qu'il arriverait même à nous faire rire avec des blagues pipi/caca. C'est bas je sais, mais que voulez vous, il suffit de voir son monologue de fin en Strangelove, pour se rendre compte du génie d'improvisation de Sellers. Bien sûr, il serait injuste de ne citer en exemple que le seul Sellers, et ce ne serait que justice de mentionner la performance de Georges C. Scott est toujours très juste et collant tellement bien au personnage ! Mais que faire, mis à part essayer d'exister dans un film où un génie opère et occupe tout l'écran lorsqu'il apparaît ? Pas grand chose...
Et en contemplant le personnage du docteur Folamour on finit de se convaincre de la folie du film, et du côté hallucinant et ahurissant devant lequel nous place Kubrick. Un ancien nazi, obsédé par la destruction, invité en tant que médiateur dans cette histoire. Tout juste brillant.
"Peut-on rire de tout ? Oui mais pas avec n'importe qui" disait Desproges. Ici, Kubrick prend la pari, de pouvoir faire sourire la Terre entière pendant 1h30, leur faisant oublier les démons de la guerre froide. Ou pas. Car cette scène finale, met un point final magistral, à tout espoir, à toute volonté de vivre et de profiter de la vie, parce qu'elle nous place devant cette terrifiante idée, qu'est la guerre nucléaire. Et nous rappelle que nous ne sommes que des Hommes après tout, les puissants chefs d'Etats ne sont que de êtres humains comme vous et moi. Mais c'est à eux que revient la décision de vie ou de mort. Et lorsqu'il y en a un qui craque, le monde peut s'effondrer d'un instant à l'autre. Le résumé du film que je vous fais est bien sinistre, et semble en contradiction avec le film lui-même, mais est malheureusement un ressenti que je n'arrive pas à enlever de ma tête.
Docteur Folamour est un bijou d'humour noir, un concentré de noirceur habillé par le rire. Cette épée de Damoclès minutieusement ciselée par Kubrick a d'autant plus d'impact qu'elle joue sur le rire, jaune certes, mais absolument détonnant !
Mais pour autant, il ne se contente pas de livrer un film juste drôle, il va plus loin dans la réflexion, nous poussant à nous remettre en question, car on perd tout nos repère après cette ultime scène, remplie de désespoir et de violence.
Un film, au final, puissant et fort tant dans la forme que sur le fond, et rempli d'un savoir faire concernant les scènes d'actions et de guerre, qui se répercutera dans une grande partie de ses films.
Un de ses films les plus aboutis et les plus brillants.