Welcome to the doomsday machine
Le cinéma comme reflet des angoisses de l’actualité trouve, en ce qui concerne la guerre froide, deux références sorties à quelques mois d’intervalle : Fail Safe et Dr Strangelove. Quand le premier restitue avec brio la terreur d’une apocalypse nucléaire, le second en dénonce l’absurdité par la satire mais avec une portée tout aussi ravageuse.
Il est saisissant de constater à quel point les intrigues se fondent sur le même principe : un bombardement se profile à l’insu des deux partis qui tentent vainement de composer avec lui et se retrouvent piégés par leur propre arsenal technologique.
L’intelligence de la tension générale du film de Kubrick est de procéder par gradation. Le film commence avec une portée véritablement documentaire, insistant sur les protocoles, les tableaux de commandes et confère au récit une crédibilité inquiétante. Avant d’emballer la machine, le scénario prend soin de l’installer solidement au sein d’un système rigide et à l’inertie blindée, à l’image de cette sublime war room, à la gigantesque table sphérique.
L’intrusion du comique se fait par les portraits de plus en plus précis des personnages, eux même plus dingues les uns à la suite des autres. Sellers joue parfaitement de cette escalade de la démence à travers ses trois personnages, gravissant la hiérarchie vers un final absolument jubilatoire dans son numéro du nazi rattrapé par ses premières amours.
Alors que la première partie se fonde surtout sur des dialogues étonnamment calmes au vu de la gravité de la situation, mesure que la tension due à l’avancée du B52 s’accroit, les masques tombent et les répliques fusent : tout le monde en prend pour son grade, et la paranoïa sur le péril rouge est ici un chef d’œuvre de bêtise. Le comique se décline alors sous toutes ses facettes : du pur gag (les pièces nécessaires pour téléphoner au président) à la parodie de diplomatie (quel président est le plus désolé de cette situation ?), en passant par le non-sens (les « natural fluids ») et l’humour noir.
Rions donc en attendant la fin du monde : les dirigeants de la planète ont tout prévu, au point de confier aux ordinateurs le soin de nous détruire, ultime force de dissuasion qu’on avait simplement omis de communiquer à l’ennemi. Cette splendide rhétorique par l’absurde génère un ballet grotesque, brillamment interprété, férocement drôle, politesse du désespoir elle seule capable de rivaliser avec la destruction massive.
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