Considéré comme un film très important dans l'histoire des adaptations de classiques littéraires fantastiques au cinéma (notamment parce qu'il est l'un des premiers long-métrages à s'attarder sur le sujet, si ce n'est le premier), le Docteur Jekyll et M. Hyde de John S. Robertson (qui réalisa là le seul film de sa carrière dont on se souvient) mérite certes sa réputation mais n'est pas non plus exempt de tous défauts, qu'on ne peut pas toujours assimiler à son âge significatif.


S'il représente les prémices de beaucoup d'éléments horrifiques repris plus tard par l'adaptation de la Universal (adaptation qui poussera beaucoup plus loin l'horreur et le thème de la schizophrénie), cette première version pose problème pour la représentation excessivement caricaturale de son M. Hyde, John Barrymore semblant moins à l'aise en interprétant un esprit dérangé qu'en campant le stéréotype de l'homme bon, du gendre idéal, de ce parti prometteur pour toute femme de l'époque désireuse de se marier.


Si l'entrain qu'il partage en tant que Jekyll permet une jolie incarnation de ce personnage admirable, le trait forcé de sa double personnalité tourne au ridicule comme un mauvais vin se muant en vinaigre : Barrymore à peine grimé (et très bien maquillé, précisons le) en Hyde hurle à tout va, fait jaillir ses yeux de leurs orbites en version horrifique du loup de Tex Avery, agitant ses mains comme un magicien raté qui tente de faire disparaître une carte.


Les regards face caméra, cette posture de Bossu de notre dame diabolique complétant un maquillage terrifiant (pour l'époque, bien sûr) finissent en surjeu hystérique, gâchis venu d'un Barrymore qu'on pourrait mieux considérer comme acteur de drame ou parfait héros de comédie plutôt qu'en tant qu'antagoniste véritablement convaincant. La comparaison avec le Nosferatu de Murnau, qui sortira deux ans plus tard, est, vous en conviendrez, des plus néfastes.


Ce déficit de nuances se retrouve jusque dans le fond de son écriture, décidément trop manichéenne et niaise pour pouvoir faire ressortir la sève géniale de la thématique principale du roman d'origine, la dualité présente en chacun de nous donnant lieu à ce combat perpétuel entre bien et mal qui d'une pichenette causée par un déséquilibre quelconque pourrait faire basculer n'importe qui de sa personnalité aimable à ses plus mauvais penchants.


Là où le propos était à l'origine tempéré, donnant à Hyde comme raison d'exister celle de devenir ce que Jekyll ne peut incarner en société, la partie schizophrénique du personnage est ici amenée comme un démon, un esprit satanique possédant le trop beau et trop parfait scientifique : à l'arrivée de son versant pervers, ne subsiste plus rien du héros, ni des traits de visage ni même des aspects de personnalité particuliers. Les deux étant loin d'être intrinsèquement liés dans leur représentation, on ressent peu de choses lorsqu'arrive la conclusion obligatoirement tragique de l'histoire de Jekyll, qu'on aurait bien vu se terminer de façon optimiste, vu la simplicité du ton global (cela aurait mieux fonctionné que ce sursaut de courage interprété de façon bien théâtrale).


La disparition de la dualité de Jekyll, interprétée comme un affrontement entre un gentil et un méchant, simplifie de fait le combat de l'homme contre sa propre personne au point de ne représenter le message du livre qu'en alternant la présence des personnages, et en poussant Hyde vers des conduites qui devaient à l'époque être injurieuses : les deux ne se complètent plus, ils sont profondément différents, loin finalement de la schizophrénie originelle et de la réflexion éclairée sur une nature humaine en constant duel entre sa part de bonté et de perversité.


Le rapport que les deux entretiennent l'un avec l'autre pourrait-être écourté du fait de sa courte durée, ou pour ne pas non plus choquer les moeurs de la bien-pensance de l'époque : simplifier une critique de la nature humaine en soulignant principalement l'héroïsme de Jekyll et la vulgarité de Hyde caricature la vision de l'auteur, au point d'en livrer une version presque uniquement pensée pour le divertissement, aliénée de toute réflexion sociale ou philosophique, et de toute ambiguïté de caractérisation du personnage.


Cela ne serait pas gênant de le considérer comme simple "film plaisir" si sa musique ne laissait pas une seconde de répit au spectateur, ruinant à la fois ses dialogues et ses scènes de tension. Souvent complètement hors-sujet ou simplement rébarbative, elle gâche une bonne partie du visionnage et laisse en fin de bobine l'abominable impression d'être passé à côté de ce qui aurait pu devenir, avec plus d'approfondissement et d'audace, un film fondateur pour les futures adaptations des monstres littéraires anglais.


S'il est tout de même très efficace, il ne reste pas en mémoire bien longtemps et s'inscrit au bas de la liste des vieux films d'exploitation de monstres à voir.

FloBerne
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Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste 2020 : Et si la Troisième Guerre Mondiale était plutôt celle... de l'Amour?

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le 10 mars 2020

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