Quiconque chercherait un film « dossier », exposant patiemment les faits de l'affaire « Petiot » prend le risque de subir une déception devant le film de Christian de Chalonge. Plutôt que de faire la liste des atrocités commises par ce funeste docteur, le film s'attarde particulièrement sur trois époques précises de son histoire : 1942, 1943 et l'après-guerre. On suit donc ce docteur bien sous tous rapport, n'hésitant pas à donner de son temps et de son argent pour aider les plus démunis et pour faire passer clandestinement des juifs menacés par l'occupant et/ou la Gestapo jusqu'en Argentine. Mais une fois les clandestins arrivés dans le lugubre immeuble du docteur, celui-ci les empoisonne, les gaz et brûle leur corps dans la chaux vive afin de mettre la main sur les objets de valeurs que les clandestins emportent avec eux. Ces actions dureront durant toute l'Occupation. A la Libération, alors recherché par les autorités, il se fait passer pour Capitaine et intègre les Forces Françaises de l'Intérieur.
Ainsi, plutôt que d'être un thriller classique reposant sur les crimes puis leur découverte, le film est avant tout un portrait de la France occupée. Mais une France que l'on a peu vu au cinéma, celle des salauds, des ordures, des collabos, des minables. Pas idéologue pour un sou, prenant soin de faire bonne figure devant les Allemands comme les résistants, Petiot est l'incarnation du français moyen dans ce qu'il a de pire. Les périples nocturnes du docteur chevauchant sa bicyclette dans les ruelles sombres et angoissantes de Paris sont autant d'occasions de rencontrer tout ce microcosme : juifs apeurés, pauvres gens ne parvenant plus à se loger décemment, résistants pris au piège d'autres Français collaborateurs, Gestapo et occupants allemands. Une scène particulièrement effroyable fait ressortir toute la puanteur de l'époque : le docteur venant, de nuit, chercher d'un façon qui lui semble tout à fait routinière des restes humains à brûler dans une grande demeure bourgeoise où semble se tenir, à côté des chambres de tortures et de meurtres, une orgie à laquelle des Français(e)s participent avec l'occupant.
Le film est porté par la mise en scène de Christian de Chalonge particulièrement inspirée. On sent l'influence de l'expressionnisme allemand dans son utilisation des ombres pour renforcer le côté angoissant et suffocant de la capitale occupée. La musique joue aussi un rôle essentiel dans l'atmosphère si particulière du film. Michel Serrault est à nouveau magistral dans le rôle titre, retrouvant par instant des airs du notaire qu'il campait dans l'inoubliable Garde à Vue. Son air hirsute, suintant et son regard profondément méchant restitue admirablement la petitesse de ce personnage et sa folie latente.