Je me dois de commencer par les circonstances qui m'ont amené à voir ce film : il fait chaud. Il fait vraiment très chaud. En bon consommateur, je me suis par conséquent dirigé vers les salles de cinéma climatisées. Problème : j'avais déjà vu tout ce qui m'y attirait, hormis le Cronenberg impossible de voir en famille. Bon... on a vu ce film, du coup. En VF. Et, évidemment, c'est un Marvel, donc, évidemment, j'ai du mal.
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Le film s'inscrit dans la continuité du MCU, que je trouve tout à fait insupportable. Pour le comprendre, il faut avoir vu telle série, tel film... On connaît déjà les mécanismes de l'industrie Disney, poussant à consommer toujours plus, réduisant un film à l'apport "kiffant" que peut avoir son histoire, ou son exécution standardisée. Le rôle de ces films est clair : il faut permettre une fuite du réel, que le spectateur puisse "s'échapper", et surtout ne pas se retrouver, que le film ne dise rien du tout sur lui, sur la réalité, rien de pertinent. C'est une position de confort, de voyeur, vis-à-vis d'un énième film, position très bien traitée par Haneke (regardez les films de Haneke putain) d'ailleurs.
Le premier élément de fuite du réel qui frappe est l'esthétique du film. On est au comble du kitsch. La première scène annonce le ton : des couleurs criardes (violet, bleu, rouge, rose, jaune, le tout très lumineux et très variable), un rythme effréné, une action ininterrompue et un montage digne d'un clip de musique (disons un plan toutes les trois secondes, à peu près), une image faite de bouillie numérique (et très peu intelligible). On ne peut plus être impressionné par aucun effet visuel, tout est fait à l'ordinateur, l'image de synthèse règne sur ce monde vomissant toujours plus ses couleurs. Devant chaque visage, un projecteur blanc réglé à la puissance maximale. Un fond vert systématique, probablement pour presque tous les plans. Aucune accroche donc pour le spectateur, qui ne peut plus s'attacher à un élément esthétiquement réaliste, puisque tout l'est sans l'être. Aussi, chaque élément a l'air d'être bien placé dans une machine bien huilée. Tout est prévisible, rien ne sonne vrai, le monde est parfaitement mécanique. C'est kitsch.
Dans la même veine, il est triste de constater le "toujours plus" qui est aujourd'hui celui des blockbusters. À chaque fin de scène, on se dit "quand même", "rien que ça", "toujours plus...". On fait dans le monumentalisme, et on quitte complètement l'idée de base du super-héros : sauver la veuve et l'orphelin. Maintenant, on part dans des voyages entre plusieurs univers, afin de sauver le monde de la sorcellerie sacrée, en tant que jesaisplusquoi suprême, et bien sûr avec des gros monstres. Une "aventure", petite intrigue au départ, devient un sauvetage de l'univers, et à chaque film on en rajoute une couche. Rappelez-vous que la moitié de l'univers vient de mourir. On n'arrive plus à être impressionné par quoique ce soit, la violence du film (si, quand même... des torturés, un cerveau explosé, l'embrochement d'un corps, un œil crevé... si, si, c'est violent, et l'intrigue et l'ambiance surtout sont violentes, c'est indéniable) est totalement banalisée en tant qu'élément de l'histoire. Rien ne marque, les enjeux ne sont pas vécus, on ne ressent rien, on observe de loin, avec un regard froid, celui du réalisateur qui attend sa paie, qui attend le bon chiffre au box-office.
Enfin, je ne peux pas m'empêcher de dénoncer le second degré constant dans les productions Marvel. Chaque événement est ponctué d'une blague, par "gentils" ou "méchants". Ces sarcasmes incessants amènent à relativiser tout ce qui peut arriver, et encore une fois on ne s'attache pas, on ne comprend pas les enjeux humainement. L'œuvre entière est au second degré, elle constate sa propre médiocrité et en rit.
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Cependant, il faut avouer que ce film a des qualités, qui peuvent (peut-être) constituer un espoir pour les prochains films Marvel. Il s'agit d'éléments ponctuels, mais qui représentent quand même une possibilité intéressante, et franchement le visionnage de ce film est un plutôt bon moment. La relation de Doctor Strange avec Christine, bien qu'assez gnangnan dans l'ensemble, donne lieu à des dialogues intéressants lors de la scène de mariage. La réalisation, de même, a de vrais bons moments, pendant les scènes de combats, et présente un champ-contre-champ assez dynamique, malgré un sentiment de répétition. On saluera surtout les bonnes idées, plutôt bien exploitées, du multivers (la scène de voyage entre plusieurs dimensions réussit à perturber le spectateur, et on comprend que le héros vomisse, on ressent ce trouble) et de la sorcellerie (qui donne lieu à de vraiment belles scènes). Ce potentiel est important, il faut le laisser s'émanciper : alors on aura un bon film, qui cessera de se limiter au remplissage d'un cahier des charges.
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Restera surtout de ce film le souvenir d'une bouillie incompréhensible, dans laquelle luisent quelques vraies bonnes choses. Espérons.
3.5/10