Encore du cinémascope... bon. Le destin veut me torturer, m'ayant fait détester ce format et m'obligeant à aimer tous les films l'utilisant que je vois ensuite.


Nope part de cette idée simplissime : l'Autre est un danger, la différence est un potentiel de conflit. Tout le film le dit très clairement : l'altérité est une menace permanente, et il faut établir un "contrat" entre les deux parties pour maintenir la paix, et contenir la dialectique. Cela traduit une vision très spéciale de l'Art (du cinéma ici) : l'auteur passe un contrat avec l'audience pour faire une œuvre (un film ici) qui plaira, tout en restant fidèle à l'auteur. Ici, cela se traduit d'une manière particulière, puisque Jordan Peele choisit de faire un film qui plait par sa forme littérale, mais reproche figurativement au spectateur sa position de confort. Tous les éléments sont installés pour une tragédie : une différence essentielle entre deux camps, dans leurs intérêts même, qui amène inévitablement à la confrontation ; une histoire simple dans sa version littérale, dont la problématique est explicite, et qui secouera les passions du public, identifié moralement à un camp. Jordan Peele choisit cette forme simple du tragique horrifique, qu'il maîtrise, pour faire passer un message métaphorique.

Ce message métaphorique prend ici la forme de la mise en abyme, figure commune dans le cinéma. Les protagonistes ont comme objectif de filmer à tous prix cet alien, espérant un gain sur le long terme, ayant filmé l'impossible, même si cela doit coûter la vie : Peele nous parle ici de la curiosité malsaine propre, non seulement à Hollywood, mais à notre monde en général. OJ, un des personnages principaux, représente très clairement le spectateur, dans sa position de confort. La scène qui en est le plus emblématique est celle où il se trouve dans la voiture, le plan divisé en deux : un côté avec lui, assis sur le siège de la voiture ; un autre avec le dehors, le danger qu'on devine de l'alien. Il est venu ici pour être confortablement spectateur de l'horreur, mais évidemment il ne veut pas la vivre en sortant de la voiture. C'est la même idée avec les caméras de surveillance (Em reste spectatrice des images filmées par ses partenaires), avec la maison-refuge, et surtout avec les spectateurs des deux "shows" du film (le premier est pacifique par nature, mais Peele veut quand même nous montrer comment on peut troubler le confort en faisant surgir l'élément perturbateur de l'intérieur du confort, et c'est le singe qui attaquera les acteurs (on notera comment le public présent physiquement quitte très vite l'estrade, mais comment, on le sait par un dialogue, celui qui observe par la télévision ne quitte pas une seconde la chaîne) ; le deuxième, plus gênant déjà, montre bien comment les spectateurs n'empathisent pas du tout avec l'animal exploité, et comment ils sont curieux dès qu'il y a un élément inattendu et perturbateur). Au final, fuir le regard de la bête, c'est fuir le regard de l'Autre, qui nous pousserait à le comprendre - par le conflit certes. Chacun se préserve en ne regardant que soi-même, et on oublie l'adversité : c'est le contrat de paix.


On pourrait disserter sur la perfection scénaristique du film (déstabilisant d'abord le spectateur par une suite de fausses alertes, détruisant la zone de confort dont on a parlé), de la mise en scène (qui est aussi une mise en abyme technique : certains plans suivent parfois l'alien à la manière des vidéos amateurs, s'articulant aux mouvements de manière mécanique), de plein d'éléments passionants qui viennent appuyer ce qu'on a déjà dit (comme le fait que le cinéaste ait une caméra imax - comme Jordan Peele qui tourne son filme en imax - appuyant ici l'idée de la mise en scène ; ou du check entre l'enfant et le singe, appuyant l'idée du contrat, ici plus amical que pacifique), ou émettre un regret sur la scène du singe (qui aurait été bien plus impactante avec un long plan fixe sur la scène entière d'abord, puis avec un plan entre l'enfant et le singe, qui zoome progressivement, jusqu'à ne filmer que le check puis le sang), mais c'est ce propos général, très intelligemment mené, qui nous intéresse.


7/10

Turtie
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le 22 août 2022

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