L’annonce de la signature de Sam Raimi pour remplacer Scott Derrickson réalisateur du premier film en raison des fameuses « différences créatives » avait déclenché une tornade de spéculations. Ce retour de Raimi au genre super-héroïque quinze ans après Spider-Man 3 sous l’égide de Kevin Feige (qui était jeune producteur débutant sur la trilogie) président de Marvel Studios et antéchrist pour beaucoup de cinéphiles auto-proclamés plutôt que d’être salué était annoncé comme une capitulation en rase campagne de l’auteur d’Evil Dead. Celui-ci devenant à les entendre après l’avoir adulé un simple yes-man incapable d’imprimer sa marque à la formule Marvel Studios réduit à orchestrer une valse de cameos gratuits (sentiment renforcé par l’annonce de reshoots massifs qui laissaient penser que le succès colossal de Spider-man No Way Home avait poussé le producteur à casquette à en rajouter) et lier les fils d’intrigues issues non seulement des précédents films mais aussi des séries TV du studio. Force est de constater à la vision du film qu’aucune de ses mauvaises augures n’étaient fondées Doctor Strange in the Multiverse of Madness est bien un film de Sam Raimi qui porte toute la patte stylistique de son auteur.
Multiverse of Madness débute in media res avec America Chavez (Xochitl Gomez), une adolescente traquée par une une force maléfique qui tente de lui voler sa capacité à traverser le multivers. Aprés qu’un variant de Doctor Strange (qui ressemble à la version du personnage apparaissant dans la série Defenders de 2011 de Matt Fraction et Terry Dodson) se soit sacrifié pour la protéger elle débarque en catastrophe dans notre réalité alors que Stephen Strange assiste au mariage de son ancienne amoureuse Christine Palmer (Rachel McAdams). Strange, Wong (Benedict Wong) et leurs alliés jurent de la protéger, mais la tentative de Strange pour recruter l’ancienne Avenger Wanda Maximoff (Elizabeth Olsen) révèle qu’elle est en fait la force maléfique qui pourchasse la jeune femme. Folle de chagrin après la mort de Vision et la disparition de ses fils qui ont cessé d’exister à la fin de WandaVision, sous l’influence du DarkHold un livre maléfique (comme le Necronomicon des Evil Dead dont il est l’équivalent dans les comics), Wanda cherche à prendre le pouvoir d’America pour trouver une réalité où elle pourra être réunie avec ses enfants , quelles qu’en soit les conséquences. Doctor Strange doit alors tenter de protéger America Chavez d’une adversaire implacable et surpuissante à travers le multivers …
Le scénario signé Michael Wadron (Loki, Rick & Morty) est clairement le point faible du film , l’intrigue est plutôt simple avec beaucoup de personnages servant uniquement dans des séquences d’exposition ou de chair à canon pour les séquences d’action. Le personnage d’America Chavez passe d’une séquence à l’autre du cliché de « la jeune héroïne qui découvre que le vrai pouvoir était en elle depuis le début » au rôle de McGuffin servant à propulser l’action à travers différents univers où le maitre des arts mystiques va rencontrer des versions alternatives de personnages du MCU mais aussi de lui-même. Les moments individuels du script fonctionnent plutôt bien (le combat « musical » entre deux magiciens et la fantastique idée du final que nous ne révèlerons pas ici) mais il y a un manque de cohésion entre les différentes intrigues , certains personnages restent en retrait pendant de longues périodes (en particulier America) ce qui empêchent leurs grandes décisions d’avoir l’impact attendu. L’arche narrative de Wanda est finalement précipitée. Il y a une véritable ambition dans les intentions de Waldron mais son scénario ne parvient pas à trouver l’équilibre entre l’action, les éléments de la mythologie Marvel et le parcours dramatiques des personnage au cœur du film.
Mais c’est paradoxalement cette faiblesse de construction du script qui permet à Raimi d’investir pleinement le film, dans lequel on retrouve toutes les facettes de son style, la première demi-heure avec un combat vertigineux dans les rues de New York contre une créature cyclopéenne (bien connu des lecteurs de Doctor Strange sous le nom de Shuma-Gorath mais rebaptisé pour des raisons obscures Gigantos) évoque les voltiges de la première confrontation entre Spider-man et le Docteur Octopus dans Spider-man 2 puis après une séquence de l’assaut de Kamar-Taj plus générique son style revient en force dans la séquence de l’intrusion de la Sorciére Rouge dans le monde parallèle où Chavez et Strange sont faits prisonniers par la version MCU des Illuminati (avec des apparitions de variants de personnages Marvel très célèbres qui vont faire bondir les fans). Une séquence effrayante qui évoque son premier Evil Dead avant de faire basculer le final dans une sarabande macabre, fun et inventive qui renvoie à folie d’Army of Darkness jusqu’à un dernier plan qui porte pleinement sa signature. L’intention de cette suite dés sa conception a été de faire de Doctor Strange in the Multiverse of Madness le premier film d’horreur du MCU selon la formule gagnante du studio qui a toujours mélangé le genre super-héroïque avec d’autres très codifiés donc familiers du public (le thriller pour Captain America the Winter Soldier, le space-opera pour Les Gardiens de la Galaxie ou le film de casse dans Ant-man). En faisant appel à un maitre du genre comme Sam Raimi, la promesse est tenue avec un niveau de violence et d’épouvante aussi cruelles et brutales que l’autorise le classement PG-13. Raimi et Bob Murawski son monteur attitré depuis Army of Darkness impulsent à Doctor Strange in the Multiverse of Madness un rythme véloce, le film ne dure qu’un peu plus de deux heures, qui donne à l’histoire une énergie unique. Si le film saute dans l’action à pieds-joints il brule parfois des étapes qui auraient pu étoffer la caractérisation des personnages. Les tentatives de Strange pour concilier ses responsabilités et son état émotionnel ou la transformation de Wanda d’Avenger en méchant (c’est un des principaux reproches qu’on peut faire au film où les actions de Wanda annulent l’évolution du personnage au cours de la série) auraient gagné à être plus développés.
Mais Raimi se repose sur ses interprètes pour porter l’aspect émotionnel de l’intrigue et son casting ne le laisse pas tomber. Elizabeth Olsen est excellente, passant du terrifiant au tragique en quelques instants, elle compose une figure vraiment intéressante qui commet des actes monstrueux sans chercher la rédemption ou la compréhension, mais avec une douleur et une fureur emphatiques avec lesquelles l’actrice fait un travail formidable. La jeune Xochitl Gomez même si elle tend à passer au second plan après une introduction formidable est immédiatement attachante échappant au syndrome du sidekick agaçant. Et bien sur Benedict Cumberbatch désormais vétéran du MCU depuis le premier film particulièrement à l’aise dans le rôle comme le fut en son temps Robert Downey Jr., dans celui d’Iron Man. Il maitrise ce mélange d’autorité d’arrogance mais aussi de fragilité qui constitue l’essence du personnage à l’écran ou dans les pages des comics et peut même en jouer des variations avec ses alter-egos multiversels. Vraie déception en revanche que les retrouvailles de Sam Raimi avec le compositeur Danny Elfman qui pour l’occasion ne fait que fournir une musique Elfmanienne au kilomètre sans qu’aucun thème marquant n’émerge ignorant le travail formidable de Michael Giacchino sur le premier opus.
Multiverse of Madness joue habilement avec de nombreuses références aux comics, que ce soit aux aventures de Doctor Strange avec des apparitions de nombreux personnages de sa mythologie (Rintrah le buffle apprenti magicien , Shuma-Gorath), à celle de Scarlett Witch avec le Mont Wundagore et l’influence du démon Chton. Mais le film fait également des allusions aux récits du scénariste Jonathan Hickman qui annoncent sans doute la direction que prendront les prochains films majeurs du MCU sans que cela ne viennent perturber le flot de l’intrigue. Car le multivers mis à part Doctor Strange in the Multiverse of Madness reste une aventure autonome de Doctor Strange avec peu de répercussions sur le reste du MCU.
Conclusion : Grand fan de comics et virtuose de la caméra Sam Raimi prospère dans le bac à sable multiversel du MCU il y impose sa marque avec un casting qui s’amuse visiblement mais un scénario inégal qui l’empêche d’atteindre l’échelon supérieur de l’univers cinématographique Marvel.