Présenté dans la section « Kanata, au-delà du miroir » à l’occasion de la douzième édition du Kinotayo, festival de cinéma japonais contemporain d’Ile-de-France, Raise Your Arms and Twist! Documentary of NMB48 de FUNAHASHI Atsushi était l’un des deux seuls documentaires de la sélection du festival.


Bien que le sujet des idols soit souvent absent de la ligne éditorial, FUNAHASHI Atsushi nous donne ici l’opportunité de palier à ce manque et de revenir sur un sujet aussi passionnant que dérangeant dès lors qu’il est abordé d’un point de vue sociologique et exempt de toutes notions d’adulation.



Idols et 48 Group : Origine et concept



Figure de proue de l’imagerie pop au pays du Soleil-Levant, les idols sont un concept souvent peu ou mal compris ici, en Occident. Tout d’abord, le terme diffère du sens que nous lui apposons usuellement puisqu’au Japon, les idols renvoient à une activité professionnelle dans le monde de l’entertainment. Bien que prenant généralement la forme de girls band féminins sur-médiatisés et composés d’adolescentes, il existe en réalité autant de types d’idoling que d’idols, en somme, une infinité si l’abus de langage le permet. Usuellement connus pour leur musique, les idols apparaissent aussi bien dans le monde de l’actorat ou du mannequinat que dans l’industrie musicale. En somme, une simplification mènerait à accepter la chose suivante : l’idoling est un ensemble d’idols apparaissant dans les diverses strates de l’entertainment avec comme principal motto l’image renvoyée. Il va sans dire que, malgré l’appartenance à ce monde du show-business, les idols ne sont pas nécessairement synonyme de célébrité, de richesse ou de succès.


C’est à la suite du succès au Japon des chanteuses yéyé françaises dans les années 1970 que le concept d’idoling se développe pour acquérir aujourd’hui une place prépondérante dans la société japonaise. Le premier groupe qu’il faut mentionner est Candies (1972 – 1978) qui marque l’apparition du wotagei, un ensemble de danses et de techniques d’encouragement par des fans extrêmes à destination de leurs idols favorites. Dans les années 1980, le producteur AKIMOTO Yasushi se fait représentant du premier âge d’or de l’idoling avec Onyanko Club (1985 – 1987), un groupe à l’effectif changeant, atteignant une cinquantaine de membres, divisé en de nombreux sous-groupes. Après un léger déclin de popularité durant les années 1990, le producteur Tsunku relance l’idoling en reprenant le concept d’Onyanko Club avec, en 1997, la création du groupe Morning Musume qui devient, en 1999, avec son single Love Machine le groupe le plus populaire au pays du Soleil-Levant. Malgré un léger déclin de popularité à partir de 2001, Morning Musume rafle de nombreux records, dont celui de longévité pour un groupe d’idoling grâce à un système de remplacement des membres quittant le groupe : 40 membres ont ainsi marqué 13 générations du groupe en 20 ans d’existence. Au début du nouveau millénaire, Tsunku atomise le marché de l’idoling en créant un grand ensemble d’idols, le Hello!Project, qui réunit l’intégralité de ses productions et qui, par conséquent, comporte trois des plus grands succès du milieu : Morning Musume, °C-ute et Berryz Kōbō.


Cependant, rien n’est éternel au pays des idols et en 2005, profitant de la baisse de popularité de Morning Musume, AKIMOTO Yasushi renouvelle l’idoling en lançant le groupe AKB48 depuis le quartier d’Akihabara à Tokyo. Initialement composé de 20 jeunes adolescentes, le groupe s’impose rapidement grâce au concept de « idols you can meet » qui apporte une certaine promiscuité entre le public et les membres, notamment lors de handshakes où les fans peuvent échanger et serrer la main de leurs membres préférées. Trustant le haut des ventes, AKB48 est un tel succès qu’AKIMOTO Yasushi lance le 48 Group, un ensemble de “groupes sœurs” délocalisés, qu’il créé sur le même modèle que AKB48, avec SKE48 en 2008 à Nagoya, NMB48 à Osaka en 2010, HKT48 à Fukuoka en 2011 ou plus récemment avec NGT48 à Niigata en 2015, et STU48 à Setouchi en 2017. L’appel de l’argent ne se faisant que peu sentir, le producteur porte le concept à l’étranger avec JKT48 en 2011 à Jakarta ou SNH48 en 2012 à Shanghai – ce dernier ayant fait scission et créé ses propres “groupes sœurs” à travers la Chine : BEJ48, GNZ48, SHY48. Par ailleurs, AKIMOTO Yasushi est allé jusqu’à assurer sa main mise sur l’entertainment japonais en créant lui-même la concurrence du 48 Group en créant le Sakamichi Series, composé de Nogizaka46 et de Keyakizaka46 et qu’il base toujours sur le même système.


Bien que l’appellation de cet ensemble ne soit pas officielle, depuis 2011 un ensemble de documentaire « Documentary of … », commandé et réalisé en interne, vient présenter en profondeur les différents groupes signés AKIMOTO Yasushi. Aujourd’hui, les groupes SKE48, NMB48, HKT48, JKT48 et Nogizaka46 ont eu le droit à leur documentaire respectif et AKB48 en compte cinq de produits. Cependant, il faut constater que mis à part Kanashimi No Wasurekata Documentary of Nogizaka46 qui se distinguait par sa forme et son esthétique, seul Raise Your Arms and Twist Documentary of NMB48 se démarque par son analyse de cette industrie, par la profondeur de sa réflexion et par son sens artistique notable.



FUNAHASHI Atsushi, Osaka et NMB48



Ce n’est pas un hasard si Raise Your Arms and Twist Documentary of NMB48 est passé en 2017 par de prestigieux festivals tels que les Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal ou le Hong Kong International Film Festival, puisque le réalisateur n’est autre que FUNAHASHI Atsushi dont nous parlions déjà au sujet des témoignages cinématographiques sur la catastrophe du Tohoku.


FUNAHASHI Atsushi a commencé sa carrière avec Echoes en 2001. En 2006, il signe Big River avec ODAGIRI Joe, qui lui offre l’opportunité d’être diffusé dans des festivals comme le Busan International Film Festival en Corée du Sud ou à la Berlinale en Allemagne. En 2012 puis 2015, FUNAHASHI Atsushi témoigne d’un message politique certain, sans être pour autant dans une logique purement contestataire, avec le diptyque Nuclear Nation où il suit la vie des rescapés de la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi.


S’il peut paraître étrange qu’un tel documentariste ait été à la tête du projet Raise Your Arms and Twist Documentary of NMB48, on peut tout de même mettre en avant le fait que FUNAHASHI Atsushi est originaire d’Osaka. Basées à Namba, le quartier des loisirs d’Osaka, les NMB48 entretiennent aussi un rapport privilégié à leur ville d’origine. Contrairement à ses “groupes sœurs”, le groupe dépend bien moins de sa fanbase nationale que de celle de la capitale du Kansai. Et FUNAHASHI Atsushi a bien conscience de cela puisque rapidement, il le caractérise à l’image et au son dans son documentaire. En plus de filmer les idols qui s’expriment entre elles en kansai-ben – patois du Kansai –, le réalisateur ancre fortement leur histoire dans leur ville en illustrant abondamment le quartier dans lequel elles évoluent, ce qui représente un contre-pied par rapport au style des cinq Documentary of AKB48 qui eux, n’illustrent que bien peu le quartier d’Akihabara à Tokyo.


Cependant, bien que l’on ait affaire à un réalisateur qui ose des choses, FUNAHASHI Atsushi dissimule difficilement la différence entre son propos et ce qui semble provenir d’un cahier des charges. Ainsi, malgré la volonté de montrer l’unicité de NMB48, le documentaire met un peu trop le groupe en parallèle des AKB48. Dès lors, cette opposition, que l’on suppute être entre le réalisateur et les producteurs, va jusqu’à infuser l’esthétisme du film où stock-footage et plans originaux se distinguent fortement.



Nietzsche-senpai : idoling et philosophie



Après la scène d’ouverture sur une version live de Kamonegix – le huitième single des NMB48 – dans un stade rempli, FUNAHASHI Atsushi donne rapidement le ton de son documentaire avec une citation de Friedrich NIETZSCHE lue par l’idol et aspirante philosophe SUTŌ Ririka. Si le parallèle jouant sur le terme idol peut sembler facile dans un premier temps, la compréhension du documentaire repose intégralement sur l’ensemble des interventions de cette membre détaillant en quoi l’idoling est un lieu propice aux questionnements sur soi. Car FUNAHASHI Atsushi ne peut critiquer librement cette industrie et ses travers avec un documentaire financé par les pontes du milieu, ici AKIMOTO Yasushi. Ainsi, c’est au spectateur de faire l’effort de recouper les propos de SUTŌ Ririka avec les images d’idols chantant, dansant, répétant, pleurant, rigolant ou simplement exprimant leur ressenti sur leur place dans le groupe.


L’esthétisme de ces intermèdes philosophiques en fait aussi de parfaites clefs de lecture dans ce documentaire aux fausses allures de présentation de groupe. SUTŌ Ririka étant filmée sur un bateau remontant un fleuve, les ponts surplombant ce dernier viennent par moments dissimuler la lumière du soleil, plongeant la jeune idol et la caméra dans un noir quasi total. Dès lors, cette idée de visible et de non-visible, vient rappeler la dure loi de l’idoling où “la course aux fans” est prônée entre les groupes mais aussi entre les idols même composant ces groupes. Car dans l’idoling, seules les plus populaires sont sur les devants de la scène. Ainsi, derrière les noms de YAMAMOTO Sayaka, JONISHI Kei, SHIROMA Miru, YAGURA Fūko et de WATANABE Miyuki, c’est une quarantaine de membres des NMB48 qui demeurent dans leur ombre.


Ainsi, tout au long de Raise Your Arms and Twist Documentary of NMB48, il est aisé de prendre fait et cause pour ces idols dans l’ombre qui, la faute à leur popularité très restreinte, ne peuvent participer aux singles et à la majeure partie des activités du groupe. Pourtant, l’intelligence du documentaire de FUNAHASHI Atsushi ne s’arrête pas là puisqu’il choisit de donner la parole à de nombreuses membres, comme les autres Documentary of … , mais aussi aux familles de celles-ci, aux managers, aux fans et aux membres ayant d’ores et déjà quitté le groupe pour poursuivre leur carrière, ce que ne faisaient pas nécessairement les autres Documentary of …. C’est alors une vision totale de l’industrie et de ses conséquences qui s’offre aux spectateurs et qui, une fois recoupée par les propos de SUTŌ Ririka, livre un triste constat.


À tous les niveaux de l’idoling, une questionnement vivace de soi s’opère. En plus de ces « petites » membres, Raise Your Arms and Twist Documentary of NMB48 dévoile que les membres importantes vivent les mêmes doutes, mais à une échelle différente. La figure principale du groupe, YAMAMOTO Sayaka, explique qu’elle a connu, elle aussi, ces positionnements de fonds de scène lorsque AKIMOTO Yasushi a entrepris durant des singles de mettre des membres de tous le 48 Group sous la bannière de AKB48. De même, les membres YAGURA Fūko et SHIROMA Miru qui, la faute à une popularité quasi similaire, sont sans arrêt mises en confrontation alors qu’elles n’entretiennent aucune animosité l’une envers l’autre. Enfin, c’est aussi les fans qui sont bien souvent diabolisés et caractérisés comme des pervers ou des personnes malades qui ont enfin le droit à la parole, ce qui offre des témoignages intéressants sur les rapports que les fans entretiennent avec leurs idols favorites et sur leur rapport à leur passion.


Bien qu’il soit un important documentaire sur le sujet, on peut regretter le fait que Raise Your Arms and Twist Documentary of NMB48 ait été réalisé avant le scandale de SUTŌ Ririka annonçant son mariage sans mentionner son départ du groupe ce qui va à l’encontre des règles du loveban régissant l’idoling japonais, et avant que la membre JONISHI Rei soit hissée sur les devants de la scène dans une tentative voyante de “remplacement de sa sœur” JONISHI Kei qui venait de quitter le groupe.


Par ailleurs, le film de FUNAHASHI Atsushi s’avère être le seul documentaire méritant d’être vu dans cette sélection 2017 du Kinotayo. On peut par conséquent ouvertement critiquer la diffusion restreinte mise en place par le festival – une séance unique le samedi à 13 h30 – alors que le film mérite à lui seul d’être visionné de multiples fois pour saisir la richesse d’information sur l’idoling qu’il contient.


Critique publiée dans le webzine Journal du Japon

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le 21 févr. 2018

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