Au début du mois de février, Jean-Gabriel PÉRIOT présentait son premier long métrage de fiction, Lumières d’été, lors d’une séance spéciale du festival Travelling à Rennes. Près de dix ans après son court métrage 200.000 Fantômes, le réalisateur français traite à nouveau des rapports que le présent entretient avec le passé de Hiroshima, ville marquée au fer rouge par l’Histoire le 6 août 1945.


Avec Lumières d'été, Jean-Gabriel PÉRIOT dresse un doux et léger portrait de la ville d'Hiroshima au travers de la rencontre entre Michiko, une Hiroshimienne pour le moins atypique, et Akihiro, un japonais vivant à Paris venu à Hiroshima pour interviewer des survivants de la bombe atomique.


Le 26 juillet 1945, durant la Conférence de Potsdam, les puissances dites « alliées » imposèrent au Japon un traité de reddition pour mettre fin à la Seconde Guerre Mondiale. Suite au refus de capitulation de la part du gouvernement de l’empereur Hirohito, les États-Unis firent le choix d’effectuer les premiers bombardements atomiques les 6 et 9 août 1945 de l’Histoire sur les villes de Hiroshima et de Nagasaki. Si le nombre de victimes directes est connu, bien qu’il oscille entre 155 000 morts et 246 000 morts selon les sources, le nombre de blessés et victimes liés aux rayonnements thermiques, aux incendies ou aux irradiations n’a lui jamais été réellement chiffré.


Bien que les hibakusha – mot japonais désignant les survivants des bombardements – soient devenus des symboles de lutte contre l’utilisation des armes atomiques, le gouvernement japonais n’en a dénombré que 266 598 en 2005 et a ainsi privé de nombreuses personnes d’allocations de santé spéciales qui leur sont théoriquement attribuées.



Souvenirs d’hibakusha



Habituellement coutumier des images d’archives dans ses différentes productions, Jean-Gabriel PÉRIOT aborde le passé et l’Histoire par un tout autre procédé dans Lumières d’été. En ouvrant son long métrage par une audacieuse interview de vingt-cinq minutes en plan séquence, le réalisateur français explore les souvenirs d’une survivante ayant connu le bombardement atomique d’Hiroshima lorsqu’elle était une jeune fille. Cette hibakusha confronte alors Akihiro, l’intervieweur, et les spectateurs au récit asphyxiant et pesant des moments de terreur et d’incompréhension qui régnaient sur Hiroshima le 6 août 1945 et les jours suivants.


C’est en faisant appel à une mime que Jean-Gabriel PÉRIOT a pu mettre en scène cette bouleversante ouverture. Souhaitant initialement recueillir le témoignage d’une vraie hibakusha et y inclure une légère modification pour nourrir le travail de fiction qui allait suivre, le réalisateur français s’est confronté à l’impossibilité des survivants de modifier leur récit par respect pour les diverses personnes impliquées, blessées ou décédées.


Dès lors, Jean-Gabriel PÉRIOT a fait le choix avec sa co-scénariste Yoko HARONO, elle-même petite fille de hibakusha, de réunir différents témoignages pour en construire un nouveau qui permettrait à la fois d’embrasser le travail de fiction que constitue Lumières d’été et de retracer le plus fidèlement possible les événements.



Hiroshima, ville hantée



Cependant, le long métrage Jean-Gabriel PÉRIOT adopte rapidement un ton plus léger lorsque Akihiro, encore profondément troublé par l’interview de l’hibakusha, rencontre Michiko dans le parc du Mémorial de la Paix de Hiroshima. Dès lors, Lumières d’été vient rappeler formellement l’iconique Hiroshima mon amour d’Alain RESNAIS en suivant les pérégrinations des deux personnages dans un Hiroshima hanté par son passé.


Au cours de leurs errances, Akihiro et Michiko apprennent à se connaître : l’un est réalisateur d’un documentaire traitant des 70 ans de la bombe pour la télévision française, l’autre est une infirmière pour le moins atypique parmi les autres Hiroshimiens. Écumant Hiroshima et ses alentours, Michiko présente à Akihiro une ville indissociable de son passé, marquée par les rencontres, notamment avec un gérant de restaurant partageant ses souvenirs ou avec le jeune Yuji qui accompagne son grand-père Etsuro.


La rencontre entre ces différentes générations vient mettre en exergue une ville d’Hiroshima où l’on se souvient peu du passé malgré le devoir de mémoire proposé par les différents monuments composant le parc du Mémorial de la Paix. À l’image de Akihiro ne connaissant l’histoire d’Hiroshima qu’en surface ou du jeune Yuji qui ne connaît pas le prénom de son grand-père, Lumières d’été présente une connaissance lacunaire du passé de la part des plus jeunes générations qui, outre la difficulté d’imaginer la réalité de ce 6 août 1945, ont longtemps été confrontées à un certain mutisme de la part des survivants.


Outre le fait que Hiroshima soit d’ores-et-déjà profondément marquée par son histoire, Jean-Gabriel PÉRIOT vient renforcer le lien que la ville entretient avec le passé au travers d’une figure fantomatique. Sans avoir recours à un twist soudain – et habituel dans ce genre de thématique – le réalisateur français fait peu à peu apparaître son fantôme en filigrane de l’histoire.


Pour autant, cette figure ne ressemble en rien aux fantômes occidentaux et adopte des traits plus poétiques pour affirmer un lien irrémédiable avec le passé, comme avait pu le faire Naomi KAWASE dans Hanezu, l’esprit des montagnes. Bien que ce fantôme ait recours au dialecte usité à Hiroshima en 1945, il rompt avec la représentation habituelle de ces êtres dans la culture japonaise. Loin de formes particulières pouvant l’apparenter à un ectoplasme, cette figure fantomatique trouve son unicité dans son absence de but concret. Bien qu’il symbolise le passé indissociable de la ville d’Hiroshima, ce fantôme n’a pour raison d’exister que la volonté de marquer une étape de transition dans la vie des différents individus qu’il croise et accompagne



(Soixante-)Dix ans plus tard



C’est après avoir lu un livre sur Hiroshima que Jean-Gabriel PÉRIOT avait pris conscience qu’il existait un manque de connaissance globale des événements ayant mis fin à la Seconde Guerre Mondiale. De cette réflexion était né en 2007 son court métrage 200,000 Fantômes. Présenté dans son synopsis comme une simple « question de temps », ce film explorait l’histoire du Dôme de Genbaku, l’un des rares bâtiments à être resté debout malgré sa proximité avec l’hypocentre de l’explosion, au travers de 650 images d’archive mises bout à bout s’étalant sur une période comprise entre 1914 et 2006.


Dix ans plus tard, il n’est donc pas anodin que Jean-Gabriel PÉRIOT traite à nouveau de l’histoire d’Hiroshima dans Lumières d’été. Cette réflexion autour du manque de connaissances est par ailleurs énoncée à voix haute par le personnage de Akihiro, quand celui-ci déclare que les Français ne se soucieront pas de son documentaire puisqu’ils n’ont que très peu d’intérêt pour un événement vieux de 70 ans qui a eu lieu à l’autre bout du monde.


Bien que Jean-Gabriel PÉRIOT traite, après Une Jeunesse Allemande en 2015, une nouvelle fois du passé et qu’il rende un saisissant et discret hommage au cinéma japonais en faisant écho à la scène de danse de Les Contes de la lune vague après la pluie de Kenji MIZOGUCHI, Lumières d’été ne s’inscrit pas dans une dynamique invitant à avoir un regard tourné éperdument vers le passé. Avec une simple volonté de mieux comprendre l’Histoire pour mieux vivre le présent et envisager le futur, Jean-Gabriel PÉRIOT nous invite à nous affranchir de l’écueil – que celui-ci soit au cinéma ou dans la réalité – et de simplement honorer le passé en le pleurant.


Diffusé dans de nombreux festivals, Lumières d’été a connu un passage symbolique en novembre 2016 au Hiroshima International Film Festival dans la section « Hiroshima Eye » qui est dédiée aux rapports que le cinéma peut entretenir avec le passé et le présent de Hiroshima. Efficacement imprégné de ce qui fait l’essence du cinéma japonais contemporain et faisant redécouvrir le dialecte de 1945 aux Hiroshimiens, le film de Jean-Gabriel PÉRIOT a surpris le public japonais en ne portant pas les traits que l’on connaît au cinéma français.


Au travers des errances de ces deux personnages et de l’interview de l’hibakusha, le réalisateur français évite de tomber dans l’émotion facile de nombreux films historiques ou dans un habituel devoir de mémoire, qui relève d’une forme de tristesse du passé. De cette manière, le réalisateur français interroge la capacité de l’humanité à comprendre et s’affranchir du passé pour se construire un futur meilleur.


Critique publiée dans le webzine Journal du Japon

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le 11 mars 2017

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Yerp Ono

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