Voir un film, c'est aussi le revoir : à la manière d'une Œuvre picturale ou de l'intégralité d'un morceau de musique la vision d'ensemble d'un morceau de Cinéma trouve sa réalité dans sa finalité et - de fait - sa cohérence synthétique. Souvent cette vue d'ensemble se conscientise pour le spectateur au moment de sa re-découverte, à l'aune où la synthèse de l’Œuvre filmique est ou a été plus ou moins consciemment intégrée dans sa mémoire culturelle...
A partir de cette idée qu'aimait à défendre le regretté Paul Vecchiali nous nous sommes risqués à nous replonger dans le célèbre Dog Star Man du très prolifique Stan Brakhage qui - dix ans plus tôt - nous avait pour le moins déconcertés voire littéralement lassés au gré de ses incessantes expérimentations tournant régulièrement à vide. Un second visionnage aura suffi à nous réconcilier avec cet objet XP d'une liberté complète et savamment erratique, preuve que les films, quels qu'ils soient, se doivent de bénéficier du doute intrinsèque à leur découverte originelle. Vous trouverez ci-dessous le double-article présentant une première critique datant des années 2010 suivie d'une seconde toute récente et davantage élogieuse. Bonne lecture !
Texte écrit en juillet 2014 :
L'appréciation de Dog Star Man dépend énormément de la prédisposition du spectateur à se laisser aller au déferlement foutraque des plans de Stan Brakhage... Pour ma part un second visionnage a suffi à me convaincre que je n'aime guère ce jalon du cinéaste, sans aucun doute le plus célèbre de ses films.
Expérimental comme tout film de Brakhage digne de ce nom Dog Star Man m'a semblé terriblement pénible à regarder ainsi qu'ennuyeux : la durée du métrage y est certainement pour quelque chose, car les trouvailles pelliculaires du réalisateur ont su me séduire sur des formats plus courts. Fondé sur le principe d'un montage boursouflé Dog Star Man ne peut-être jugé esthétiquement que de manière totalement subjective... A mon humble avis le film est affreusement laid, multipliant les surimpressions nauséeuses et les images sans rapports les unes avec les autres. On remarque évidemment la structure chapitrée du film mais cette charpente semble bien vaine au regard des plans : une logique narrative implique toujours une progression, une évolution du récit... Ici rien n'est lisible et les cinq parties de Dog Star Man réitèrent inlassablement les mêmes plans, sur un mode répétitif étranger à toute intrigue.
On peut y voir un poème cinématographique, un voyage hypnotique ou une simple proposition filmique, ce que je concède sans problèmes. J'ai simplement trouvé ce long défilement d'images stroboscopiques très long et ennuyant, sans harmonie aucune et très ampoulé. J'ai préféré Anticipation of the Night qui témoignait à mon sens d'une plus belle unité. Ma note est très dure mais fidèle à mon ressenti.
Texte écrit en avril 2024 :
Film-monstre, magnum opus de l'Œuvre titanesque de Stan Brakhage Dog Star Man est de ces films ne cherchant jamais à nier leur entière et authentique vanité artistique. Composé d'un prélude et de quatre parties toutes plus hasardeuses les unes que les autres ledit métrage narre l'errance kaléidoscopique d'un bûcheron et de son chien dans les contrées montagneuses du Colorado : une errance aussi éloquente que la forme s'en emparant, concert d'images étourdissantes défiant les lois de la gravité, jouant d'anamorphoses en grattages pelliculaires, de voilages en sous-expositions en passant par pléthore de saccades rythmiques et/ou arythmiques...
Muet, mutique, silencieux pour ainsi dire, Dog Star Man est à ce point surchargé en termes de pulsations scopiques qu'un réel vacarme visuel s'en dégage sur près de 75 minutes de pur montage attractif et émulsif. On sent forcément l'héritage de l'Œuvre d'un Kenneth Anger au visionnage du Cinéma de Brakhage, dans cette manière de brouiller les repères et d'accoucher d'un édifiant précipité filmique tout en pariant sur l'imagination et la capacité de son spectateur à s'approprier l'objet concerné. Créateur de formes étonnantes, sidérantes et désarçonnantes Stan Brakhage se met lui-même en scène en la figure de ce montagnard re-définissant les lois de la pesanteur, jalonnant les Rocheuses en compagnie d'un chien nimbé de neige et de poussières mêlées...
La forme de Dog Star Man est, sera et restera parfaitement hétérogène et impure in fine. Les couches visuelles se superposant comme autant de strates de réalité vécue ou fantasmée témoignent d'un infra-monde étrangement insituable, comme entre deux eaux. Entre l'éveil et le sommeil la dimension hypnagogique de ce film-mastodonte nous perd pour mieux nous éblouir, mélange de babillages formels et d'impressions pré-natales intégralement intarissables. En un mot comme en mille le Dog Star Man de Stan Brakhage est un film sur lequel il faudra, fatalement, revenir.