Dogville par Gérard Rocher La Fête de l'Art
Nous sommes dans un petit village, au nom de Dogville, dans les Montagnes Rocheuses . Grace, une jeune femme, est poursuivie par des gangsters et se réfugie à la lisière de la petite cité. C'est là qu'un jeune homme la recueille et la présente aux habitants. Grace, courageuse, instruite et pleine de bonne volonté, propose ses services à la communauté. Son dévouement et son attitude font qu'elle est très appréciée de presque tous, adultes comme enfants. Un soir de fête les poursuivants débarquent dans le village, la tête de Grace est mise à prix. C'est alors que pour la jeune fille tout va basculer. Les habitants apeurés et lâches se retournent contre elle et organisent une assemblée afin de décider de son sort. A partir de cette tragique soirée, elle sera détestée et rejetée. Elle deviendra l'esclave de tous, jusqu'à vivre recluse et attachée. Grace se soumet et accepte tant bien que mal la situation jusqu'au jour où un nouvel évènement va se produire et là, la vengeance de la charmante et douce Grace sera terrifiante.
Cette fable est sans pitié vis à vis de la société dans laquelle nous vivons même si le réalisateur vise avant tout l'Amérique dans son propos. Ici chacun parle des valeurs humaines, des grands principes mais lorsque l'ordre établi ne leur convient plus, rien n'empêche les habitants qui peuplent ce village d'être lâches, opportunistes voire même parfois violents et sadiques. Ces gens soutenus par le Ciel profitent de la détresse et de la vulnérabilité des plus faibles d'entre eux pour les exploiter puis tenter de les anéantir sans que l'ombre du pêché ne les effleure. Dès que le malheur ou le danger pointe le bout de son nez, la communauté enfonce le clou, elle est prête à trahir, à déshonorer et à dénoncer pourvu que sa tranquillité reste intacte. Les belles paroles, la moralité et les grands principes s'envolent car les "bons citoyens" ont choisi le camp des plus forts sans qu'ils ne s'en culpabilisent. C'est bien le procès de notre société toute entière que Lars von Trier met au ban des accusés. Il dénonce à juste titre et sans concession les Dupond Lajoie, les collaborateurs, les médiocres, en fait tous ceux, et ils sont nombreux, qui n'auront vécu que pour eux-mêmes et qui n'auront jamais de leur vie tendu la main à autrui sauf pour leurs intérêts personnels. Le réalisateur jette un regard sévère sur ce monde fier de son petit confort, de son petit savoir et de sa soi-disant réussite. Mais le destin personnifié par Grace va se retourner contre les habitants opportunistes de ce village en déclenchant un énorme cataclysme final qui exterminera ce monde injuste, égoïste et cruel.
Ce film est un pur chef-d'oeuvre et certainement l'un de mes préférés. Sa grande originalité tient d'abord à la mise en scène très théâtrale. Celle-ci, en filmant un plateau nu avec sur le sol des traits représentant les différentes habitations, est en effet des plus sobres. Par cette merveilleuse astuce, le réalisateur Lars von Trier nous permet d'avoir une vue d'ensemble et d'observer avec beaucoup de précision, simultanément, les détails de la vie, des occupations et des attitudes quotidiennes des différents personnages. Cet élément apporte un atout considérable à l'analyse et à la force de cette histoire noire et haletante de bout en bout. Nicole Kidman en "ange exterminateur" est tout simplement magistrale dans ce rôle de femme adulée puis persécutée. Elle nous entraîne par son jeu dans un sentiments d'admiration, de pitié et enfin de révolte. On se sent solidaire de son personnage de femme manipulée à en souhaiter une vengeance forte voire brutale. Entourée d'acteurs tels que Ben Gazzara, Lauren Bacall, Paul Bettany ou Patricia Clarkson, excusez du peu, il semble difficile de ne pas entrer dans le jeu de ces personnages ambigus interprétés avec beaucoup de brio.
Pour ceux qui ont vu ou verront ce film, il sera difficile d'effacer de leur tête les terribles épreuves subies par Grace. Cette société sournoise et dure que nous fait découvrir Lars von Trier dans ce film accusateur, courageux et réaliste n'est pas seulement celle de l'Amérique. On ne peut sortir indemne d'une telle vision et c'est sûrement toute la leçon de ce dur thriller original et magistral.