Expérimentant une nouvelle fois formellement, avec un décor minimaliste réduit à quelques indications au sol d'une sorte de vaste scène de théâtre, mais poursuivant sur son territoire habituel, soit la noirceur inexcusable de l'âme humaine, Von Trier nous livrait en 2003 avec "Dogville" l'un des sommets de son éprouvante filmographie : le scénario, exceptionnel, et l'interprétation intense de sa troupe toute entière lui permettaient cette fois de transcender les mécanismes un peu trop "malins" de sa mise en scène (jeux de lumière, caméra à l'épaule et voix off magnifiquement distanciante)... Dans Dogville, Von Trier règlait certes encore une fois ses comptes avec l'humanité (tous des monstres), mais aussi avec le complexe de sainteté de ses propres héroïnes (pensons à la belle digression de James Caan sur l'arrogance de la compassion). Résultat, le film est à la fois techniquement superbe et indiscutablement accablant, voire terrifiant... mais il irradie surtout grâce à l'immense Nicole Kidman : prosaïque et abstraite, tendre et statuaire, en permanence captivante, elle retrouve l'opacité d'une Deneuve chez Buñuel. Elle fait finalement oublier l'expérience formaliste du film, et permet au spectateur de tenir la distance risquée de trois heures de turpitudes stylisées ! Quant au générique final (sur Bowie, une fois encore, Von Trier a bon goût musical), qui a fait "débat" à la sortie du film, d'une indéniable méchanceté gratuite, et d'un anti-américanisme féroce, avons-nous besoin de répondre aux nombreux détracteurs de Von Trier qu'un film peut être autre chose qu'un objet de consommation consensuel ? [Critique écrite en 2004 et modifiée en 2015]

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le 10 févr. 2015

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Eric BBYoda

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