Don’t Look Up mêle avec virtuosité deux esthétiques d’ordinaire séparées dans le cinéma d’Adam McKay : d’une part, le tohu-bohu d’événements qui nous immergent avec les personnages dans la confusion d’une histoire en train de s’écrire et dont les coulisses nous sont dévoilées ; d’autre part, le récit linéaire d’une camaraderie soumise à l’épreuve du temps et d’un bouleversement. À l’instar des protagonistes de The Big Short, il s’agit davantage ici d’une camaraderie acquise et non initialement donnée puisque les scientifiques sont avant tout des collègues que les circonstances vont rapprocher, séparer et rapprocher encore lors d’un dernier repas au sacré simple et poignant.
Ce faisant, le cinéaste compose une satire jouissive et mordante de nos sociétés occidentales rongées par la désinformation, la dégradation des discours scientifiques en canulars destinés à colorer un programme politique et à séduire les masses réactives et endormies. Car son long métrage repose sur l’entassement de réactions – et non pas de commentaires – d’individus qui jamais ne prennent de recul ni ne pensent ; ils semblent régis, comme la présidente, par la bêtise et la vulgarité, aveuglés par les écrans ; ils forment un bestiaire que McKay exploite sans vergogne, galerie de monstres qu’un égoïsme conduit à s’entretuer comme Gnathon, mâchoire dépeinte par La Bruyère ainsi qu’un être démesuré qui tire profit de l’existence sans se soucier de son entourage et prêt à racheter sa condition « de l’extinction du genre humain ».
La quasi-totalité des personnages sont ou deviennent corrompus à mesure qu’ils sont pris au piège de leur image médiatique, plus importante que leur personnalité propre ; nous retrouvons ici une thématique développée dans France de Bruno Dumont, sorti la même année : le scientifique Mindy se dégrade en vedette de plateau télé jusqu’à renaître en image, coquille creuse qui le pousse à s’entourer de figures qu’il ne connaît jamais vraiment parce qu’elles sont constituées de vide, simple convergence d’intérêts publics. Adam McKay interroge à son tour la notion d’icône, qu’il construit et déconstruit sous nos yeux avec une vitalité et une rapidité déconcertantes, suivant le modèle ascension-chute ; il lui oppose, à terme, le mari et père de famille qui ne compte que pour ceux qui l’aiment et qu’il aime en retour, ceux qu’il connaît en profondeur. La clausule drolatique présente une autre relation familiale marquée, elle, par la médiocrité et par le déliement des liens : un fils égaré au milieu des décombres qui appelle celle qui a pris la fuite sans même se soucier de lui.
Don’t Look Up fait voler les masques et éclater les bulles que nous interposons devant le réel ; il met en scène une mascarade tout à la fois hilarante et terrifiante d’un présent dont l’outrance et la bêtise auront rarement atteint une telle puissance ce cinéma. Chef-d’œuvre.