Je peine à décrire pourquoi ce film est si puissant sur le plan émotionnel. Les thèmes sont connus, les interactions scolaires stéréotypées, la musique peu présente hormis la dernière scène. La quête du mystérieux, symbolisé à la fois par Gretchen et par la vieille femme, est finalement assez classique.
Ce film est intriguant aussi, tellement qu’on s’y perd parfois, entre scènes de science-fiction et amourettes entre adolescents. Mais ce qui est passionnant c'est cette immersion dans une atmosphère dépressive, de pensées noires et de doutes propres à l’adolescence. La tension y est croissante sans que l’on parvienne à comprendre pourquoi : le lapin, par exemple, oscille entre une hallucination, un reste d’un univers parallèle et un vulgaire costume d’Halloween. A plusieurs moments de l'intrigue, on s’attend à la résolution de la tension, sans que l’atmosphère en soit modifiée. Et en effet, on comprend seulement à la fin du film que cette montée de suspens a été résolue, alors que le scénario ne nous a pas laissé voir exactement quand. Le parallèle avec l'adolescence, vrai sujet de l'oeuvre à mon sens, est fascinant : un personnage qui se torture sans que de l’extérieur on n’arrive à comprendre pourquoi, et dont la fin est si invisible qu'on ne la réalise pas immédiatement.
Alors oui, le film s’égare parfois sur des critiques annexes, notamment du système scolaire et des charlatans du développement personnel. Mais le décor est suffisamment planté pour qu’il résiste à ces écarts, en témoigne la B.O., Mad world, chanson très dépressive qui décrit un monde où les enfants ne font qu’attendre leur jour de bonheur annuel. Le saupoudrage d'éléments fantastiques, et la performance pleine de retenue et de mystère de Jake Gyllenhaal, permettent à l'oeuvre de conserver une unité, comme un fil rouge.
Et ce film ne finit pas de nous poser des questions, au risque de la surinterprétation. Faut-il briser les routines, les habitudes de vie qui en deviennent des carcans ? L’aventure de Donnie n’est-elle qu’une lutte contre un cycle inévitable, et l’avalanche de catastrophes qui en découle que la preuve que ce combat est perdu d’avance ? Le choix final nous montre-t-il qu’il faut accepter l’inévitabilité du destin, ou que l’important est dans le fait d’avoir essayé, dans la révolte quasi-camusienne ?
Un film en point d’interrogation donc, mais où l’absence de réponse n’est pas un défaut.