Dos monjes est un film mexicain réalisé par Juan Bustillo Oro dans la première moitié des années 1930.
Je connais mal le cinéma de l’entre deux Guerres, j’ai vu tout au plus une quarantaine de longs métrages de cette décennie, et, un peu innocemment, je m’imaginais que le cinéma mexicain démarrait avec la naturalisation de Luis Buñuel et ses premiers films latino-américains (1947-1950).
J’étais donc intrigué en tombant par hasard sur ces Dos monjes – "ces deux moines" en espagnol.
Il faut dire que le réalisateur Juan Bustillo Oro est aujourd’hui bien peu connu. En témoigne sa filmographie SC : sur les 60 films qu’il a réalisé entre les années 30 et le début des années 60, seuls quatre ont aujourd’hui une fiche sur le site – et aucun n’a suffisamment de notes pour avoir droit à une moyenne affichée.
Sauvé de l’oubli et remis au bout du jour grâce au travail de restauration initié par Martin Scorsese (troisième fournée de son Martin Scorsese’s world cinema project) avec la collaboration de la collection Criterion, Dos monjes est classé dans la catégorie « Films d’horreur » - plus spécifiquement, il est reconnu pour être le second film d’horreur mexicain. Aujourd’hui, avec l’évolution des standards, une classification dans les drames serait plus juste.
L’intrigue s’articule autour de deux moines – Juan et Javier – enfermés dans un couvent à la fin de XIXe siècle. Le premier (un nouvel arrivant dans le monastère) est appelé au chevet du second, qu’on dit possédé par le diable. Leur rencontre tourne rapidement à la bagarre : le possédé tente d’assommer son acolyte à coup de gros crucifix. Rapidement, les hommes sont séparés, et le doyen des lieux prend un moment pour entendre tour à tour la confession de l’un et l’autre.
Démarre alors deux flashbacks, deux versions d’une même histoire. Et immédiatement, on ne peut s’empêcher de penser au Rashômon d’Akira Kurosawa, qui utilisera peu ou prou le même procédé narratif quinze ans plus tard.
Sans dévoiler les détails de l’intrigue, on apprend bien vite que les deux moines ont été d’anciens amis, et qu’une dispute de cœur – un triangle amoureux à la Jules et Jim – les a à jamais éloignés.
La mise en scène est surprenante : on y retrouve des décors biscornus et des jeux d’ombres – le passage en ombres chinoises derrière des fenêtres matérialisées par de grands barreaux de bois est magnifique – à la Nosferatu ; et l’on ne peut s’empêcher de penser au Cabinet du docteur Caligari et à l’expressionnisme allemand dans les cadrages désaxés et les plans de travers.
Plusieurs trouvailles de mise en scène m’ont particulièrement marqué.
D’abord l’énorme pendule du salon et ses airs gothiques, toute tordue dans le premier flashback, et qui retrouve ses formes rectilignes dans la seconde version de l’histoire.
L’utilisation des costumes est également remarquable. Les mêmes séquences de l'intrigue sont reprises dans les deux flashbacks correspondant aux deux versions de chacun des moines, elles sont à chaque fois vues sous des angles différents. Pour matérialiser ce changement de vision et souligner leur caractère subjective à chacune, les vêtements des deux hommes sont inversés.
Le premier flashback nous plonge dans les souvenirs version Javier : l’homme est alors vêtu d’un complet beige clair, et Juan – alors perçu comme le méchant – est en noir. Dans la deuxième moitié du film, lorsque c’est au tour de Juan de raconter sa version des faits, c’est lui qui est vêtu du costume beige, tandis que Javier porte le noir.
La conclusion de Dos monjes explose en apothéose : la musique à l’orgue envahit tout l’espace et donne à ce final un charme austère et sépulcral tout particulier.
Merci pour l’immense travail de restauration mister Scorsese, car c’est un film qui mérite d’être découvert et partagé !