Ceci n'est pas une critique, mais un constat d'échec. Échec, car Double suicide à Amijima m'est en grande partie incompréhensible, moi occidental n'étant pas du tout familiarisé avec le bunraku.


Evidemment, l'incompréhension ne réside pas dans le récit (apparemment typique du bunraku), que même un occidental pourra trouver classique et prévisible : un amour impossible qui comme l'annonce le titre se finira par un suicide des deux amants. Non, elle réside dans la mise en scène, créant une symbiose entre deux formes d'art à priori incompatibles : le bunraku, spectacle de marionnettes japonais, et le cinéma, art née en occident mais pas occidental pour autant (prends-ça, Eric Rohmer !).


A ce point-là, vous vous dites sûrement : "mais pourquoi cet idiot écrit-il une critique d'un film qu'il n'a même pas compris ?". Parce que déjà si vous aviez bien suivi ce n'est pas une critique (je me dédouane donc facilement de toute obligation d'écrire un texte construit et cohérent), et ensuite parce que ne pas tout comprendre de ce qui se déroule dans la mise en scène du film à cause d'une ignorance culturelle permet d'avoir un regard presque neuf sur l'objet en question. Ce qui en ressort, c'est une poésie visuelle extrêmement forte à laquelle il est difficile de ne pas être sensible et qui ne nécessite pas forcément d'être intellectualisée.


Que ce soit les machinistes habillés de noir qui peuplent le champ comme des ombres, les murs peints de formes abstraites, le sol qui devient une page de calligraphie japonaise, les estampes sur lesquels se détachent les acteurs : on ne comprend rien, si ce n'est que l'on a en face de soi un film unique et magnifique. Ne pas comprendre n'est ici pas effrayant : c'est au contraire de là que naît l'émerveillement. Et puis il y a cette séquence finale où le couple fait l'amour dans un cimetière avant d'aller rejoindre littéralement le monde des morts, sous le regard voyeuriste d'un machiniste (qui se libère de sa fonction pour entrer dans la fiction) et du spectateur : quelle plus belle porte d'entrée pour les mythes occidentaux, quelle plus belle incarnation d'Eros et Thanatos ? Étrangement, c'est dans ce passage du monde des morts que des décors réels font leur apparition. Vous me voyez venir : il n'y a de réalité que dans la mort ?


Il faut le dire, c'est assez étonnant de voir que le film est si peu connu en France alors qu'il témoigne quand même d'une tentative de réinvention totale des codes du cinéma. Rien que pour cette raison, je me devais d'écrire ce torchon. A force de manger de la nouvelle vague française, on peut parfois oublier que la nouvelle vague japonaise crée elle aussi des œuvres absolument novatrices.


La conclusion, c'est que je sais que je ne sais pas, mais le film fait naître l'envie de s'intéresser de près au bunraku pour enfin peut-être le comprendre, et acquérir une nouvelle forme d'émerveillement.

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le 2 déc. 2017

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