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Alain (Guillaume Canet) et Léonard (Vincent Macaigne) débattent de l’avenir de la littérature : doit-elle évoluer vers le numérique, ou bien s’en éloigner pour préserver sa valeur intellectuelle ? Puis on élargit : c’est un apéritif dinatoire où hommes et femmes bien cultivés essaient de savoir ce que le public voudra dans le futur. Est-ce que les bibliothèques disparaîtront ? Est-ce que ce qui est publié numériquement a de la valeur face au reste (la blogosphère notamment) ? Olivier Assayas, avec ces deux premières grandes séquences, prend à la gorge le spectateur qui verra ici des gens dans une bulle opaque qu’il aurait bien envie d’éclater. C’est agaçant, mais c’est tout l’intérêt que de manipuler le public dans cette exaspération vis-à-vis du parisianisme culturel dominant. Le cinéaste compte bien s’amuser avec tous les concepts établis dans ce cinéma qu’on aime à définir comme “bourgeois”.
[...] Léonard est en manque d’inspiration pour sa prochaine autofiction ? Il couche avec la femme d’Alain, son éditeur, pour en trouver. Alain semble perdu dans son travail d’éditeur ? Coucher avec Laure (Christa Theret), plus jeune que lui et chargée de l’édition numérique, sera un bon moyen d’ouvrir ses horizons. L’infidélité est une chose établie. Elle permet de créer de nouveaux débats au sein de sphères privées qui semble bien incapables de dialoguer entre elles. L’influence d’Antonioni sur le cinéaste n’a jamais été un secret, et sa capacité à en faire de la comédie démontre son talent quand il s’agit de prendre du recul sur un univers dont il fait implicitement partie. Olivier Assayas dépeint un monde révolu des élites autoproclamées qui se reproduisent entres-elles, jusqu’à devenir futiles. Aucune n’est capable de se parler sans contredire l’autre, voire d’énoncer un propos qui soit l’exact inverse de celui prononcé quelques scènes avant [...]
Dès lors, tous les débats de cette grande continuité dialoguée, où les même personnes se retrouvent entre-elles, sont-ils futiles ? On peut en tout cas affirmer leur vanité, car c’est bien de cela qu’il s’agit. Alors que tous essaient d’apporter leur pierre à l’édifice de la culture, ils sont bien incapables d’avoir le moindre avis franc, honnête, sur quoi que ce soit. On entend même une magnifique réponse : “j’observe”. [...]
Olivier Assayas brouillait d’ores-et-déjà les pistes avec Sils Maria (2014), mais avec Doubles Vies, il ne questionne plus seulement le rapport de l’actrice à l’œuvre qu’elle interprète ; il brouille encore les pistes théoriques, offrant au public une capacité de jugement et d’analyse qui différera à chaque visionnage. Des débats sans fins et sans réponses, où les pistes entre réalité et fiction sont constamment brouillées pour devenir une boucle sociale dans laquelle chacun revient au point de départ. Un film sur des personnes remarquablement vaniteuses, mais ô combien satisfaisant.