12 jurés se réunissent pour délibérer sur une affaire de meurtre, au jugement duquel ils ont assisté durant plusieurs jours. Tous sont d’accord pour juger le suspect coupable, sauf un (Henry Fonda). Entre ce dernier et les onze autres jurés, un bras de fer s’engage pour déterminer où se trouve la vérité…
Il y a des réalisateurs qui ne peuvent rien faire comme tout le monde. Ainsi de Sidney Lumet qui, contrairement à tous ses collègues, au lieu de sortir en guise de premier film un coup d’essai intéressant mais perfectible, nous offre un premier chef-d’œuvre dont on jurerait qu’il vient d’un réalisateur aguerri. Il faut dire qu’il avait une matière en or à travers 12 angry men, initialement un scénario que Reginald Rose avait écrit pour un téléfilm en 1954 et qui sera adapté au théâtre l’année d’après.
Scénarisé par l’auteur même du scénario initial, le film de Lumet s’avère en effet bâti sur un scénario d’une solidité à toute épreuve, tant sur le strict plan scénaristique (la construction de l’intrigue par toutes petites avancées successives) que sur le plan humain. Cette solidité se manifeste en premier lieu par des personnages écrits avec une intelligence remarquable. Car en effet, sous la plume de Reginald Rose, et à travers ces douze figures d’hommes, c’est toute la société que dépeint 12 hommes en colère.
Extraordinaire étude de caractères, le script de Reginald Rose puise toute sa force dans le constant décalage entre les enjeux puissants qu’il pose (la vie ou la mort d’un homme) et la situation qui nous est montrée (douze hommes tout ce qu’il y a de plus « normaux » qui blaguent et se disputent). Il y a quelque chose de terrible à se dire qu’une vie humaine repose entre les mains de ces douze hommes, qui ne semblent pas tous se rendre compte des enjeux de leur réunion. Mais il y a aussi quelque chose de grand à les voir petit-à-petit prendre conscience de leur lourde responsabilité afin de chercher à faire triompher la vérité. Le génie de Rose et Lumet, c’est de parvenir à montrer sans aucun manichéisme les réactions de chacun face à cette vérité. Il est littéralement impossible de ne pas se reconnaître dans cet homme prêt à condamner un suspect uniquement pour aller voir son match de baseball tranquillement, dans celui, convaincu par les dires des policiers, qui refuse de réexaminer encore une fois les faits, ou encore dans celui qui change plusieurs fois d’avis au gré des démonstrations qu’il entend.
Tous incarnés par des acteurs au sommet de leur art, dont notamment les incroyables Henry Fonda, Lee J. Cobb et Joseph Sweeney, les personnages de Lumet suscitent tous une très forte empathie, tant ils s’avèrent plus réels que jamais. A ce talent sans faille de la part de ses 12 interprètes, il faut ajouter le talent incroyable de metteur en scène dont fait preuve Lumet dès sa première œuvre pour expliquer l’immersion totale à laquelle est soumis le spectateur. En effet, grâce à une mise en scène aussi discrète qu’impressionnante, qui s’appuie sur des changements de focale parfaitement maîtrisés, Sidney Lumet parvient à nous happer pour nous introduire au plus profond du drame qui se joue sous nos yeux et par ses jeux de plongée/contreplongée, mettre à nu l’âme de chaque personnage pour mieux la faire ressortir dans toute sa vérité.
C’est sans aucun doute cette incroyable humanité dont fait preuve le film, allié à une intrigue diaboliquement minutieuse, qui lui vaudra sa réputation de chef-d’œuvre, qui se perpétuera à travers les années. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que rarement une telle réputation ne fut plus méritée.