La colère mène au côté obscur, le côté obscur à la mort.
Alors que je devais me plonger dans la corruption policière selon Lumet avec le duo Serpico/Prince de New-York, je n'ai pu m'empêcher de revisionner son premier film, et dans le même temps, me rendre compte à quel point j'aime ce film. Un coup d'essai qui se transforme en coup de maître, ou comment réussir un film quasi parfait avec trois fois rien.
Le film s'ouvre sur la fin d'un procès. On entend les dernières paroles classiques du juge et on voit les jurés sortirent de la salle pour aller délibérer. Lumet en profite pour révéler le visage de l'accusé, seul plan du bonhomme que l'on ne reverra pas par la suite. Le film raconte donc le débat qui anime ces jurés, qui doivent statuer sur le sort de ce jeune homme, à savoir la mort ou la vie.
Douze hommes en colère est un modèle de mise en scène, un exercice de style universel, à mettre entre les mains de tout jeune réalisateur. Et aussi dans celles des mauvais, s'ils pouvaient apprendre deux, trois choses ça serait sympa pour tout le monde. Bref ce film est un huis clos, se déroulant dans la pièce de délibération des jurés , et est, en plus, un bijou d'écriture, qui ne pose finalement qu'une seule question toute simple : La vie d'un adolescent peut-elle se jouer sur deux mots, "not guilty" ? Vous associez ça à la maîtrise de Lumet, vous laissez reposer 1h30, et vous obtenez un putain de chef d'oeuvre qui fait date dans l'histoire du cinéma. Oui, j'aime ce film.
Ce qui rend le film génial, c'est l'importance, qu'apporte Lumet aux détails. Le juré n°8 (Fonda, magistral) qui est le seul à appeler le "non coupable", dans un premier temps, ne le fait pas parce qu'il est super gentil et que le gosse est innocent, et qu'il est convaincu de son innocence. Non. Il le fait par respect pour le jeune âge du garçon, qui mérite le bénéfice du doute. Et c'est là que Lumet joue le mieux sur les détails. Car, sans majorité totale, la sentence ne peut être rendue, et donc l'affaire revisitée par les jurés. Et petit à petit, on nous montre, à partir de simples faits, que le doute est tout à fait légitime, que certains détails de l'accusation ne sont pas clairs et que finalement, on ne peut pas envoyer un gosse à la mort juste comme ça.
Il reste quand même un point important qui me semble très difficile à traiter. Comment réussir un huis clos avec autant de personnages à la fois ? N'oublions pas qu'ils sont 12 dans une pièce grande d'à peine 20 m² (à vue d'oeil). Et bien Lumet évite la difficulté en l'utilisant à son avantage. Il va jouer avec ses personnages, ne les nommant pas, seulement les désignant par leur numéros de juré. Et puis il va faire entrer un facteur déterminant qui renforce la tension du film. La délibération se déroule le "jour le plus chaud de l'année", ce qui dans un espace aussi clos et aussi limité, revient à dire que ces 12 hommes se retrouvent dans une fournaise. Ils transpirent, ne sont pas bien, se plaignent et veulent absolument en finir. Le ventilateur présent dans la pièce s'obstine en plus à ne pas fonctionner. Cet aspect du film annonce quelque chose de très grave, c'est à dire qu'un homme peut être envoyé à la mort simplement parce qu'il faisait trop chaud à son procès. En effet, la plupart des jurés, veulent en finir et ne pas s'attarder sur ces détails si important.
Lumet va également développer la psychologie de ses personnages grâce à plusieurs apartés bien sentis. Ainsi on découvre leur métier, leur façon de penser, leurs idéologies. Et on se rend compte bien vite d'une autre chose. Peut-on réellement prendre une décision aussi importante que celle d'envoyer un gosse à la mort, sans prendre en compte ses émotions personnelles. Le film démontre que non, puisque certains jurés, qu'ils soient racistes ou d'origine immigrée, voient leurs sentiments rentrer en jeu et obscurcir leur jugement.
Lumet est un virtuose de la caméra. Pas dans le sens où il peut proposer des plans séquences extraordinaires, avec une caméra en mouvement constant à l'instar d'un Orson Welles ou d'un Preminger, mais plutôt dans le sens où il manie habilement son cadre et utilise ses focales à merveille. Une grande focale va couper toute profondeur de champ et enfermer le personnage dans un cadre très serré, renforçant ainsi la tension et l'effet de mal être sur le spectateur. Il place son cadre sur les personnage qui font avancer l'histoire. En effet, à chaque plan, seuls ceux qui apportent quelque chose se retrouvent dans le champ.
Douze hommes en colère est donc un film marquant, avec des idéologies multiples et variées. Il dénonce ici des hommes, égoïstes, ne pensant qu'à leur bien être, et qui pour l'atteindre serait prêt à envoyer un jeune homme à la mort. Sans états d'âmes. Ce n'est pas non plus un plaidoyer ouvert en faveur de l'abolition de la peine de mort, même s'il en porte les prémices en critiquant les hommes qui sont juges de cette décision. Certes, Douze hommes en colère est un formidable exercice de mise en scène de la première à la dernière minute ; mais c'est également un film essentiel concernant notre rapport à la mort. A voir, revoir et re-revoir. Et à méditer.