Voilà que je voulais voir ce film depuis longtemps, ayant eu un vent élogieux sur SensCritique de ce qui apparait être comme un chef-d'oeuvre autant qu'un classique. Je suis parfois réticent à regarder des films en noir et blanc, c'est dommageable, et pourtant quand j'en regarde un, je suis rarement déçu. On faisait de ces films en ce temps là. L'occasion me fut donner de rattraper mon retard et ce de manière totalement inattendu en cours de socio-psychologie. Et je dois dire que le film correspond parfaitement à la matière en plus d'être captivant...
De la justice
Le film semble d'une simplicité déconcertante. Un huis-clos déroutant, 12 acteurs, dans une même pièce sous une chaleur étouffante, des jurés, devant décider de la condamnation ou non d'un fils qui aurait accompli un parricide. Ils ne se connaissent pas vraiment, viennent de tous les milieux. D'emblée, ils votent. Tout le monde semble s'en remettre à l'énonciation du jugement du procureur : cet homme mérite la mort. Tous, sauf un. Le vote à l'unanimité étant nécessaire, aucune décision ne peut ressortir de cette pièce à cause d'un banal petit véto.
Oui, mais voilà, ce simple véto, cette simple objection, remets tout en cause, l'enquête elle-même et les motifs du crime. Nous vivons alors toute l'affaire au travers d'un argumentaire d'une heure trente. Chaque élément est disséqué. Une à une, les incohérences sont soulevées. Ce qui pouvait apparaitre comme une économie, comme une avarice même de ne montrer que le récit des faits d'une affaire rocambolesques est en fait brillant. En décortiquant, en épluchant le dossier, le spectateur peut renouer parfaitement avec l'affaire et peut, comme un membre de juré, prendre sa décision, une décision se résumant à : "la mort ou la vie", une décision lourde de conséquence et de sens. Ainsi, si au début tout le monde semble condamner sans objection, n'exerçant ainsi pas de jugement d'hommes libres et de citoyens, n'accomplissant pas le devoir civique, un seul homme les ramène à la raison et exerce, tel un philosophe, une sorte de maïeutique socratique, faisant accoucher les évidences de l'ineptie des charges du procureur.
Véritable interrogation citoyenne, véritable interrogation de la vertu démocratique, 12 hommes en colère retrace le cheminement d'hommes passant de la dénonciation à l'absolution.
De la société
Mais la démonstration, magistrale, ne s'arrête pas là. Elle interroge notre société, nos rapports humains. Un seul homme s'oppose à tous. On se rit de lui. On ne le prends pas au sérieux. Mais il ne démords pas. Prenant à parti chacun d'entre eux, il les convainc ou les persuade. On a les leaders, qui s'opposent par principes, les indécis qui s'en moquent, les distraits qui s'égarent, les naïfs qui se rallient au plus offrant. La tension, dans ce film, outre l'atmosphère orageuse - qui ne tient pas du hasard - passe par les revirements des votes. Régulièrement les protagonistes revotent pour trancher. Mais à chaque fois, les partisans de l'innocence se font de plus en plus nombreux. L'acmé est atteinte lorsque les partisans du pour sont à égalité avec les partisans du contre. Le basculement est inévitable. Le leader d'opinion devient celui que tout le monde condamnait plus tôt. Cette dimension est particulièrement visible au début de l'oeuvre, lorsque les jurés sont enfermés dans la salle de délibérations, comme les cardinaux lors d'un conclave pour élire le nouveau pape. Car, il n'est pas seulement question de trancher sur une question mais bien d'élire un leader charismatique derrière qui les ouailles peuvent se rallier et donner du poids à son idée. Alors, chacun s'enfonce dans ses principes et la pression sociale s'exerce. Là où il était moralement inacceptable de s'opposer aux accusations, il devient de bon goût d'exercer son véto et de clamer l'innocence d'un homme qu'ils ne connaissent pas. Les modes changent. Les boucs-émissaires aussi. Le poids moral de la mort devient trop fort à assumer. Dans le doute il vaut mieux s'abstenir.
On pourrait disserter des heures durant sur ce film tant il est riche philosophiquement, sociologiquement. L'interprétation est impeccable. Derrière ces jurés, les hommes refont surfaces. L'Amérique et sa démocratie apparaissent à nues. Le microcosme sociale se range derrière le devoir citoyen. Plaidoyer contre les préjugés, leçon pratique de philosophie socratique, le film surnage. Il parvient à faire ressortir les saillies de la manipulation, de la rhétorique, des erreurs de jugements et de la société. Démonstration argumentée magistrale.