C'est en 1957 que sort 12 hommes en colère. À cette époque, on est doucement en train de sortir de l'âge d'or du film noir. Il arrive après deux décennies de cinéma hollywoodien, durant lesquelles des centaines de films ont décliné toutes les nuances de l'intrigue policière, balayant absolument tous les registres. Le film de Sidney Lumet vient donc prendre à revers tous les schémas possibles et imaginables, dans une intrigue qui tient certes sur un post-it, mais qui brille néanmoins, et ce de façon incontestable, par son originalité : arrêter sa caméra sur les membres d'un jury (personnages qui n'ont été jusque-là, dans les innombrables séquences de procès, que de simples figurants), et en faire un film entier, est une idée qui relève du génie.
Le tout est rondement mené. Le film pourrait devenir redondant mais sait au contraire rebondir avec brio, pour toujours offrir un nouvel angle intéressant dans ce débat houleux entre les douze jurés. De plus, chaque juré a son propre vécu, ses propres spécificités et son propre profil psychologique, ce qui donne une impression prégnante de réalisme, en plus d'offrir des échanges passionnants. Le bras de fer qui a lieu dans cette pièce est divertissant de bout en bout, le film évacuant en permanence la crainte de voir l'ennui arriver, tant il est capable de se réinventer aux moments opportuns tout en gardant un rythme au cordeau.
Enfin, d'un point de vue plus personnel, j'ai été ébloui par la manière dont le personnage d'Henry Fonda réussit, par son calme et son élocution, à prendre le dessus et à retourner les avis des uns et des autres. Ses arguments ne sont pas infaillibles, ses hypothèses ne sont pas si crédibles, et il y a certaines contradictions dans tous les éléments qu'il avance. Mais peu importe, le caractère à la fois mesuré et incisif de ses tirades, son flegme, son humanisme, sont autant de points qui le rendent redoutable dans l'art d'arriver à convaincre. Là où ses adversaires, obtus, surexcités, bruyants, perdent les pédales à mesure qu'ils sentent leur échapper un verdict qui était en apparence indiscutable.
J'ai peut-être été déçu de deux choses : 1) qu'on voit le visage de l'accusé, en larmes. J'ai trouvé que ça n'apportait rien au film, si ce n'est créer une empathie factice nous poussant à épouser le point de vue du personnage d'Henry Fonda. Et 2) que le dernier juré à convaincre soit aussi négativement caractérisé tout au long du film. Ça manque un peu de nuances à ce niveau-là, bien que le film n'en devienne jamais grossier pour autant.
Dernière chose, que je garde en tête car ça m'a beaucoup amusé et que c'est la conclusion parfaite au film : le vieux juré qui, charmé par le personnage d'Henry Fonda, vient lui demander son prénom à la sortie du tribunal. Une belle preuve qu'avant tout, avant les éléments factuels et toutes les hypothèses avancées lors des débats, c'est la personnalité et les talents d'orateur du personnage qui lui ont permis de renverser la situation. En somme, la vérité sortirait de la bouche de celui qui s'exprime le mieux. J'ai trouvé ça à la fois drôle, pertinent et même un peu cynique, sur ce que ça dit de la situation qu'ils ont vécu tous ensemble.
Ce film n'est ni le combat du bien contre le mal, ni celui de la vérité face au mensonge, mais plutôt un affrontement psychologique, où il n'y a ni victime ni coupable, mais juste un homme malin et d'autres qui le sont un peu moins.